Interview. André Shamba : « Mon texte a mis deux ans à être publié faute de relecteur »

Mardi 11 Décembre 2018 - 17:29

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Kâna-ka-Mfumu, traduction inédite du Petit Prince  de Saint-Exupéry en ciluba, est l’une des dernières parutions des Éditions Nzoï. Le journaliste congolais autodidacte en ciluba qui l’a écrit par aventure en est à sa seconde version du livre et s’est passé de commentaires personnels adjoints au premier manuscrit datant de 2002 jamais publié et d’ailleurs brûlé. Rencontré le 29 novembre à la Fête du livre, il a revélé les dessous de son projet au Courrier de Kinshasa.

 André Shamba, traducteur du Petit Prince de Saint-Exupéry en cilubaLe Courrier de Kinshasa (L. C.K.) : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

André Shamba (A.S.)  : Je suis André Shamba, Congolais de la République démocratique du Congo mais je vis au Cameroun. Journaliste, spécialiste de l’Afrique centrale et en même temps chercheur en communication.

L.C.K. : Hôte de la sixième édition de la Fête du livre de Kinshasa, pourriez-vous nous dire ce que vous êtes venu y faire?

A.S. : Je suis l’un des invités spécialement pour présenter le livre que j’ai traduit. Il s’agit du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry que j’ai traduit en ciluba, l’une des quatre langues nationales de la RDC.

L.C.K. : Comment l’idée vous est-elle venue de traduire ce vieux classique français ? Aviez-vous déjà traduit d’autres ouvrages avant ?

A.S. : Je suis traducteur de profession, j’ai travaillé à Radio Okapi Kinshasa, d’abord comme journaliste traducteur, ensuite comme présentateur de journaux avant de quitter le pays. Quant au projet de traduction du Petit Prince, je l’ai commencé en 2002. C’était dans l’idée de m’amuser un peu. Je suis autodidacte en langue ciluba, je l’ai appris seul. Je suis né dans l’ancienne province du Shaba, du Katanga et donc dans un environnement swahiliphone et j’ai appris le ciluba lorsque je me suis rendu à Mbuji-Mayi. D’abord le parler et ensuite la lecture, puis je me suis exercé à l’écriture. C’est ainsi que j’ai décidé de traduire Le Petit Prince pour le plaisir de le faire tout simplement. Je voulais voir si je pouvais arriver à traduire. Je l’avais bien fait en 2002 en y ajoutant des commentaires. Je résumais chaque chapitre par un proverbe luba. Trois à quatre ans après, je n’avais pas trouvé d’éditeur, j’ai alors brûlé mes manuscrits. C’est en 2014 que le projet est revenu dans ma tête. Je me trouve à Lyon et à l’aéroport, je lis Saint-Exupéry et directement j’y repense. Aussi, dès mon retour au Cameroun, je me suis décidé de recommencer la traduction et l’ayant finie, je suis tombé sur les Éditions Nzoï qui ont accepté le projet et c’est seulement deux ans et demi après que le livre apparaît. Nous avons rencontré des problèmes pour trouver un correcteur ou relecteur. Enfin, le livre est là.

L.C.K. : De la première version dont vous avez brûlé les manuscrits à cette seconde publiée, il s’est passé une bonne décennie, l’écriture est-elle meilleure ? Ayant perfectionné votre ciluba, la traduction a dû être plus aisée…

Kâna-ka-Mfumu, version ciluba du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry A.S. : Oui, j’ai un peu étendu mon vocabulaire mais en même temps, je pense avoir régressé un tout petit peu parce qu’au moment de cette seconde traduction, cela faisait trois à quatre ans que j’étais en dehors du pays, me trouvant à un moment au Mexique où l’on parle espagnol. Je vis dans la partie anglophone du Cameroun et lorsque j'ai commencé ce travail, j’étais en Hollande où l’on parle l’anglais et le deutsche. Donc, je ne sais pas, s’il y avait un plus dans mon ciluba. Mais ce qui est certain, c’est très, très difficile de traduire Le Petit Prince dans nos langues locales. Seulement, la seconde fois, ce n’était plus juste une aventure, question de m’exercer à la langue ciluba. J’avais plutôt un double défi à relever ou un double objectif. Le premier, c’était pour démontrer que l’opinion répandue selon laquelle nos langues sont pauvres n’était pas vraie. Elles ne sont pas pauvres, ne sont pas des dialectes comme on le laisse entendre et sont linguistiquement structurées. Donc, l’on peut tout traduire à l’instar d’un mot comme astéroïde. D’aucuns pourraient se demander comment le traduire déjà en lingala mais nous y sommes pourtant parvenus en ciluba et en un mot : « kabulungu ». Aussi, je suis d’avis que nous pouvons aussi traduire des concepts mathématiques, physiques, chimiques ou biologiques, etc.

Le second objectif revient au fait que j’ai décelé des similitudes avec la sagesse luba dans le contenu du Petit Prince. J’étais étonné parce que dans l’entendement général, la culture européenne, celle des blancs, est différente de la nôtre. J’ai été surpris de constater qu’un Blanc use de la même sagesse que les Luba dans l’éducation de leurs enfants, toutes les valeurs dont ils font usage. Alors, j’ai décidé de faire goûter aux locuteurs natifs ou non de la langue luba, la sagesse que contient Le Petit Prince.

L.C.K. : Parlez-nous de la réaction du relecteur face à l’insolite manuscrit…

A.S. : Mon texte a mis deux ans à être publié faute de relecteur, je n’en trouvais pas. Dans un premier temps, je l'avais confié à une amie française écrivaine. Elle avait recommandé le texte à son éditeur mais il se posait le problème d’un relecteur, quelqu’un qui puisse lire le ciluba et le corriger. Le manuscrit a été alors envoyé à l’université de Gand, à Bruxelles, auprès d’un professeur spécialiste du ciluba qui n’a pas donné de suite. Il a donc fallu en trouver un autre. Mon éditeur est tombé sur le Pr Crispin Maalu Bungi, un spécialiste également de ciluba que je connaissais de nom pour avoir étudié à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Kinshasa où il enseigne. Il a aimé le projet et l’a admiré car, nous a-t-il confié, « il y a des livres en ciluba mais pas d’ouvrages littéraires ». La traduction du Petit Prince est une première, a reconnu le spécialiste en littérature. Cela l’a décidé tout de suite à le corriger. Il a relu mon texte, au bout d’un à deux mois, il avait fini. Il ne savait pas que j’étais un autodidacte de cette langue et, moi, je le connaissais de réputation sans l’avoir jamais vu. Nous nous sommes rencontrés par un heureux hasard ici à la Fête du livre, lors de la cérémonie d’ouverture. Il était assis à mes côtés et m’a reconnu en regardant ma photo projetée sur l’écran et le nom inscrit sur mon badge. C’est au moment de l’échange qui s’en est suivi que je lui ai dit qui j’étais et ce que je faisais. Lui, il m’a raconté sa rencontre avec mon éditrice dans un salon du livre en Allemagne, m'avouant qu’il n’avait pas éprouvé de grosses difficultés. Mais en tant que spécialiste du ciluba, il a eu à proposer quelques mots et parfois réécrit quelques phrases et le texte en soi n’est pas dénaturé.  

L.C.K. : Une sommaire présentation de l’ouvrage qui vient de paraître et devrait arriver à Kinshasa bientôt, on l’espère avant la fin de la Fête du livre ?

A.S. : Je ne peux pas vous dire le nombre de pages, parce que je l’ai eu entre mes mains ce matin. Je l’ai laissé à l’hôtel mais si j’ai bonne mémoire, il est de format A5 et ça me plaît. Il a une belle apparence, mignon.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Kâna-ka-Mfumu, version ciluba du "Petit Prince" d’Antoine de Saint-Exupéry Photo 2 : André Shamba, traducteur du "Petit Prince" de Saint-Exupéry en ciluba

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