Devoir de mémoire: Albert Londres et la ville de Pointe-Noire au premier âge

Jeudi 4 Avril 2019 - 20:39

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Albert Londres, pour ne pas se priver d’un propos laudateur à son endroit, en s’exprimant avec la langue du grand poète Aimé Césaire, est "un nom à réchauffer dans la paume d’un souffle fiévreux". Originaire de la ville de Vichy sur l’Allier, à quelque 350 km au sud-est de Paris, en France, où il naquit dans les dernières années du XIXe siècle, en 1884, Albert Londres aspirait à une carrière de parnassien, d’esthète du mot et de la phrase quand la vocation de journaliste d’investigation lui tendit les bras.

La fonction de lanceur d’alerte dont il définissait le crédo en écrivant « notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » le rendit célèbre devant l’opinion française qui découvrait scandalisée, à travers ses publications dans Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Quotidien, les souffrances infligées aux bagnards de la prison de Cayenne, ou bien encore les violences coloniales sur la population locale dont le drame du Congo-Océan fut le cas le plus emblématique.

Ce précieux témoin  de son temps entreprit, en 1927, un voyage dans les colonies françaises d’Afrique noire qu’il commença par le Sénégal. En avril 1928, il débarquait à Pointe-Noire, étape congolaise qui lui permit de boucler son reportage sur ce périple africain où une fois de plus, il plongeait la plume dans la plaie. D’abord publié la même année par petites touches dans les journaux parisiens dès son retour en France, ce reportage qui parut en mars 1929 chez l’éditeur Albin Michel, sous le titre «Terre d’ébène (la traite des nègres) », secoua le monde et fut considéré à juste titre comme un réquisitoire contre « ceux qui font la civilisation à tâtons », c’est-à-dire l’administration coloniale française et ses cerbères.

Au-delà du drame du Congo-Océan que nous n’évoquerons pas ici, l’étape congolaise du reporter contemporain de la naissance de la ville de Pointe-Noire est une capture d’images de cette ville à son premier âge. En effet, mise en mouvement le 11 mai 1921, par la grâce du gouverneur Victor Augagneur, l’agglomération de Pointe-Noire n’avait de ville en 1928, à l’arrivée de Londres, que la croyance et l’espoir inexpugnables en un projet en devenir qui parent souvent la conscience humaine.

Mais laissons parler le conteur.

‘’Nous y voici. A force d’avancer, l’Afrique a changé de nom.  L’équateur est franchi. Ce n’est plus l’A-O.F., mais l’A-E.F. La nuit tombante nous voit débarquer à Pointe-Noire. C’est le Congo.

Cette ville future devrait s’appeler Pointe-Silence !

Le wharf finit dans la brousse. Des herbes vous montent jusqu’à la poitrine et l’on va cherchant un sentier qui paraît-il existe.

Pointe-Noire n’est pas encore ouvert au public. Les voyageurs pour le Congo ne descendent pas là. Ils continuent sur le bateau jusqu’à Matadi, chez les Belges qui, eux on fait un chemin de fer. Les Français à travers le territoire de nos amis gagneront le Congo français.

Pointe-Noire sera notre port de demain (…)’’

En 1928, le port n’était pas encore érigé. Ses travaux démarrèrent en 1934. L’emplacement du quai,  l’appontement, le wharf dont parle Londres correspondait à l’emplacement du mole de l’actuel port. Il est inutile d’ajouter que la « brousse » aux herbes qui vous prennent à la poitrine évoquée plus haut est devenue depuis une forêt de bâtiments qui se disputent le royal privilège de paraître.

En 1928, c’était comme l’écrivait Londres, "la colonie au premier âge. Pointe-Noire n’existe encore qu’en espérance. Pointe-Noire aura cent mille habitants. Pointe-Noire débitera trois mille cubes d’eau par jour. Pointe-Noire possédera huit grues et pourra manipuler cent cinquante mille tonnes par an. Pointe-Noire ne sera pas seulement le port du Congo, mais celui de l’Afrique centrale’’

L’agenda prophétique d’Albert Londres sur Pointe-Noire, énoncé voici bientôt un siècle, s’est pleinement accompli. La ville océane compte aujourd’hui presque un million de feux, débite par jour des mètres cubes d’eau par millions, son port est le port en eau profonde le plus performant de l’Afrique centrale…

Pointe-Noire et l’illustre visiteur qui fut témoin de ses premiers pas ne se sont plus rencontrés depuis quatre-vingt-dix ans. Cette rencontre est et reste nécessaire en termes de mémoire, de mesure du temps et de ses accomplissements. Une telle rencontre vantera aussi le privilège d’une visite amicale qui cria à la face de la terre le dégoût de la farandole des cerbères que gouverneur, miliciens et capitas et leurs victimes exécutaient follement entre Congo et Atlantique.

François Ikkiya Onday-Akiera

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