Zao : « Au Congo, on valorise plus les artistes d’ailleurs »Samedi 15 Avril 2017 - 12:02 Icône de la musique congolaise, mondialement reconnu, Casimir Zoba dit Zao également connu dans son pays natal où ailleurs sous le pseudonyme d’Ancien combattant vient de célébrer ses 35 ans de carrière musicale. Cette célébration a été marquée par un double concert donné respectivement à l’Institut français du Congo (IFC) de Pointe-Noire, le 1er avril et de Brazzaville, le 8 avril. Dans une interview exclusive, ce baobab de la musique congolaise revient sur sa riche carrière, son regard sur la jeunesse, et ses rêves. Dépêches de Brazzaville. Le 1er et le 08 avril dernier, vous aviez célébré vos 35 ans de carrière musicale. Depuis quand aviez-vous commencé réellement à chanter ? Zao : Cela fait 35 ans que ma véritable carrière musicale a commencé. Cependant, j’ai véritablement commencé la musique à l’âge de 12 ans dans les ballets traditionnels. J’étais en classe de CM2 à l’école de l’église Saint-Esprit de Moungali et tous les jours à 17h nous partions aux répétitions avec les artistes comme Aurlus Mabélé, Kimbembé, etc. Après le Ballet, j’ai intégré le groupe « Les Anges», un grand orchestre de la place dans lequel se trouvait Clôtaire Kimbolo. Je chantais, jouais à la percussion et la guitare. Un jour, lorsque j’ai appris que RFI organisait un concours de jeunes talents, je me suis lancé avec la chanson Sorcier ensorcelé. J’ai remporté en 1982 le prix Découvertes RFI. La remise de ce prix a eu lieu à Lomé au Togo. RFI m’a ensuite amené en France et j’ai commencé à voyager. C’est vraiment là que toute ma vraie carrière musicale a commencé. J’ai ensuite arraché le prix de la meilleure chanson au festival des musiques d’Afrique centrale pour la chanson Corbillard.
LDB. À quel moment votre carrière musicale a-t-elle pris de l’ascendance ? Zao : Lorsque j’ai enregistré la chanson «Ancien combattant». C’est un titre que j’avais écrit en 1983. Avant même de l’enregistrer, je l’ai joué au cours d’une cérémonie. Elle avait tellement séduit les gens au point où l’un des spectateurs en a parlé au responsable de Music club. Ce dernier m’a contacté pour la signature d’un contrat pour l’enregistrement de ladite chanson C’était nouveau pour moi. Mes premières chansons dont « Sorcier ensorcelé », n’étaient juste qu’un enregistrement sur une bande audio. J’ai justement informé le journaliste feu Marie Alphonse Toukas, qui non seulement faisait jouer mes chansons à la radio, mais aussi était devenu mon manager. Le contrat signé, nous sommes allés à l’industrie africaine de disque (IAD), un grand studio d’enregistrement situé à Mafouta dans la périphérie sud de Brazzaville, en 1984. C’est là que j’ai enregistré l’album « Ancien combattant ». Après l’enregistrement de cette chanson, nous avions effectué des voyages promotionnels dans différents pays africains. Quelques mois après sa sortie, « Ancien combattant » a connu un succès fou, me plaçant ainsi au firmament de la carrière solo que je venais d’entamer.
LDB. Qu’aviez-vous tiré comme profit de cette chanson qui a connu un succès planétaire ? Zao : La chanson Ancien combattant m’a permis de voyager à travers le monde. Il ne pouvait pas se passer une grande activité (sommet, festival, …) sans qu’on ne puisse inviter l’auteur compositeur d’Ancien combattant. J’ai voyagé même avec le chef de l’Etat, Denis Sassou N’Guesso pour aller jouer Ancien combattant. Sur le plan matériel, elle m’a permis de m’acheter quelques parcelles et construire des maisons et bien d’autres biens. Malheureusement, tous ont été pillés pendant les tristes événements que ce pays a connus. J’y ai perdu mes instruments haut de gamme. Cela a été pour moi une période difficile pour ma carrière musicale.
L.D.B. L’Etat ne vous a-t-il pas soutenu au sortir de ces tristes événements pour vous permettre de vous remettre sur orbite ? Zao : Pas du tout ! Et pourtant, j’ai lancé les cris de cœur, mais ils sont restés sans suite. Je me suis débrouillé à me remettre debout avec mes propres efforts. Ce qui est regrettable.
L.D.B. Le succès lorsqu’on ne sait pas le contenir peut vous entrainer dans la débauche surtout en ce qui concerne les artistes musiciens. Etes-vous tombé dans ce coup ? Zao : C’est inévitable pour un artiste qui a connu un succès planétaire comme moi. Je n’avais que 25 ou 27 ans lorsque que j’ai chanté « Ancien combattant ». J’étais encore à fleur de l’âge avec toutes les pulsions. A l’instar de mes doyens grands noms de la musique, les femmes me courtisaient. J’ai eu des enfants avec certaines d’entres-elles.
L.D.B : « Sorcier ensorcelé », « Ancien combattant », « Corbillard », « Soulard », « Aiguille » …sont des chansons qui interpellent. D’où vous vient cette inspiration ? Zao : Je tire mes inspirations de la société dans laquelle je vis. Effectivement, c’est cette qualité d’inspiration qui me caractérise. J’ai chanté par exemple le fair-play au football : « Au football ce n’est pas la guerre, il faut plutôt savoir jouer ». Je suis parti d’un constat répétitif. Chaque fois qu’un joueur d’une autre équipe, vivant dans le quartier d’un Diable-noirs marquait un but contre cette équipe, les fans de Diables-noirs le menaçaient, parfois arrachaient même la porte de sa maison. Cela m’a inspiré une chanson. Au passage, je dois vous confier que je fus un très bon ailier gauche, même si au finish j’ai opté pour la musique au détriment du football.
L.D.B : Quel est le comportement sur le marché du disque de votre album « Aiguille », l’un de vos chefs-d’œuvre ? Zao : L’album « Aiguille » se vend très bien. Il est protégé par la Fnac. Avec cet album, l’avant dernier mais qui est toujours actif, j’ai donné beaucoup de concerts à l’étranger, surtout en France.
L.D.B : Le public vous reproche le plus souvent de ne pas être à la hauteur de votre réputation. C’est comme si vous ne savez pas ce que vous valez, alors que dans l’imaginaire international on vous considère comme un artiste hors pair. Comment expliquez-vous ce paradoxe. Zao : Je pense que tout part d’abord par la politique que nous entreprenons, nous Congolais pour nos artistes. Au Congo, on valorise plus les artistes d’ailleurs au détriment des nationaux. Prenons l’exemple de nos frères d’en face, en République démocratique du Congo. Vous voyez comment est-ce qu’ils savent valoriser les leurs, ce qui n’est pas le cas ici. Aussi, lorsque vous donnez 80 millions aux autres et 500.000 FCFA à nous autres, est-ce une manière de nous soutenir ou de nous écraser ? Cela est décourageant. Je suis finalement d’accord avec l’adage qui dit, « nul n’est prophète chez soi ». DB. Certains s’interrogent même si vous avez réellement un manager ? Zao :. Bien sûr que oui! L.D.B : Mais qu’est ce qui fait que vous n’êtes pas visible lors des grands rendez-vous internationaux au même titre qu’un Youssou N’Dour ou une Oumou Sangaré ? Zao : Oui, c’est vrai, cela dépend aussi du manager. Ce sont des tirs à rectifier. A propos de Youssou N’Dour, c’est un artiste qui a su percer et que j’apprécie beaucoup. Je vais vous dire une anecdote. Lorsque le Sénégal est qualifié pour la première fois à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), l’Etat sénégalais nous invite, Clotaire Kimbolo et moi à jouer à la soirée de récolte des fonds organisée pour la circonstance. A l’époque, Youssou N’Dour qui venait de commencer sa carrière musicale, avait de l’admiration pour moi. Il me l’avait avoué. Ce jour-là, c’est lui qui fit l’entracte. Mais regardez comment les siens l’ont soutenu jusqu’à devenir ce qu’il est devenu. C’est loin d’être notre cas. L.D.B. Ancien combattant enregistré en 1984 est toujours d’actualité jusqu’à ce jour. Il se trouve que certains pays africains sont en proie aux violences, d’autres risquent même de s’exploser. N’est-il pas possible de conscientiser les peuples de ces différents pays à travers les concerts ? Zao : Votre question est la bienvenue. Je lance un appel aux humanitaires d’organiser ce genre de concerts. Pour les causes humanitaires, je suis partant. J’ai toujours pensé qu’il vaut mieux prôner la paix que la guerre. La violence ne sert à rien, si ce n’est que détruire. La guerre ne laisse que les stigmates, les énormes regrets. Donc, il est mieux de prévenir que de guérir. Les concerts humanitaires sont aussi une marque de prévention et j’en suis prêt à répondre à ces genres d’appels qui visent à sauver l’humanité.
L.D.B : Quel bilan tirez-vous de vos 35 ans de carrière musicale ? Zao :: Un bilan totalement positif. Je dois vous dire que je n’ai pas encore cessé de chanter. Tant que j’aurai la possibilité de chanter, je le ferai toujours. Et j’y tiens.
L.D.B : Quel est ton rêve pour le futur ? Zao : Mon rêve avant de finir ma carrière musicale, c’est de jouer dans la mythique salle de l’Olympia de Paris. Tabu Ley nous a tous inspiré. Aux producteurs de saisir cette opportunité. Je rêve aussi de laisser derrière moi d’autres Zao. Former sans cesse la jeunesse est mon souci permanent.
L.D.B : Justement ! Comment appréciez-vous la musique actuelle, celle jouée par la jeunesse ? Zao : Beaucoup plus de danses que de l’écoute. Et les gens sont heureux de danser à grosses sueurs. En ce moment qui faut-il condamner? Est-ce l’artiste musicien qui ne fait plus un effort de proposer des bons textes aux mélomanes ou bien les mélomanes qui se plaisent de danser à grosses sueurs peu importe le contenu ? Je préfère répondre par cette interpellation.
DB. A l’occasion des 35 ans de votre carrière musicale vous avez donné deux concerts, un à Pointe-Noire et un autre à Brazzaville ; qui vous a accompagné dans l’organisation de ces deux événements et quelle appréciation faites-vous des deux ? Zao :. Je remercie d’abord l’IFC qui m’a accompagné dans la réalisation de cet anniversaire. Car, n’eut été l’IFC je n’allais pas célébrer mes 35 ans de carrière musicale. Je n’ai reçu l’apport d’aucune autre institution en dehors de l’IFC. Le 1er avril, j’ai joué à l’IFC de Pointe-Noire, grâce à leur concours. C’est l’IFC de Pointe-Noire qui a supporté nos frais de transport ainsi que le cachet du groupe. Il en est de même pour l’IFC de Brazzaville. Quant à l’appréciation des deux événements, que ce soit à Pointe-Noire le 1er avril où à Brazzaville, le 8 avril, les salles étaient toutes remplies du monde, sauf que la salle de Brazzaville est plus grande que celle de Pointe-Noire. Nous avons joué devant un public hybride composé de toutes les races, sans compter les diplomates accrédités au Congo et madame la ministre des Petites et moyennes entreprises, Adelaïde Mougany. C’est ça aussi qui fait la force de Zao. Merci encore à l’institut français du Congo ; merci aux artistes qui sont venus me soutenir à savoir, Stafio, Kongo Salsa, Youyou Mobangé, Haïdjimane.
Bruno Okokana Légendes et crédits photo :Photo 1 : Casimir Zoba Zao sur scène à l'IFC de Brazzaville
Photo 2 : Casimir Zoba Zao pendant lors de la célébration des 35 ans de sa carrière musicale à l'IFC de Brazzaville
Photo 3 : Casimir Zoba Zao lors de la troisième phase de son concert
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