Belgique : aucun consensus des députés sur des excuses liées au passé colonial

Mardi 20 Décembre 2022 - 11:30

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Les travaux de la commission spéciale chargée de faire la clarté sur l’État indépendant du Congo et sur le passé colonial de la Belgique dans ce pays, au Rwanda et au Burundi et d’en tirer des enseignements pour l’avenir, se sont achevés le 19 décembre, sans un accord entre les députés belges.  

 

L’ordre du jour des travaux de la commission prévoyait un vote sur le rapport final et les recommandations de la commission présidée par le député fédéral belge, Wouter De Vriendt. Mais, aucun accord n’est intervenu en majorité sur la validation du rapport final concluant les travaux de la commission et aucun vote n’a été effectué. Certains partis politiques de la majorité du parlement belge, notamment les libéraux l’Open-VLD et le Mouvement réformateur (MR) ont quitté la salle et n’ont pas voté ce texte qui proposait, en son article 69, que la Belgique présente des excuses sur son passé colonial.

Pour le chef du groupe parlementaire du MR, Benoît Piedboeuf, le président de la commission a préféré s’accrocher à son unique point de vue et décidé de sacrifier plus de deux années de labeur. « Il avait pourtant répété ces derniers jours que 99% du travail avait été accompli. Pourquoi dès lors ne pas acter ce consensus important et historique ? Nous répétons, inlassablement depuis des mois, nos positions et nos lignes de fracture. Le président de la commission doit avoir un rôle d’arbitre et ne peut mettre à mal à ce point les équilibres de la majorité », a-t-il fait savoir.  

S'en tenir aux regrets exprimés par le roi

Les libéraux et le parti flamant CD&V ( Chrétiens-démocrates et Flamands ) ont déclaré vouloir s'en tenir aux regrets exprimés par le roi Philippe de Belgique, en juin 2020 à Kinshasa et répétés juin 2022, toujours dans la capitale congolaise. « Les libéraux rappellent qu’ils tiennent à respecter le discours du roi Philippe prononcé le 30 juin dernier. Le souverain y exprime "ses plus profonds regrets" pour les souffrances infligées au peuple congolais pendant la période coloniale. Il n’y a pas d’équivoque, le roi l’avait rappelé, le régime colonial comme tel avait pour base l’exploitation et la domination, une relation inégale, marquée par le paternalisme, les discriminations et le racisme. Nous nous inscrivons pleinement dans cette démarche de reconnaissance », indique le MR.

Les libéraux, rejoints par le CD&V, ont également déclaré n’avoir pas voulu créer de précédent et ont regretté l’obstination de certains de vouloir à tout prix dépasser le discours du roi, pourtant couvert par le gouvernement. « C’est d’autant plus regrettable car 120 recommandations sur 128 faisaient consensus au sein de la Vivaldi (Coalition politique en Belgique, ndlr) », a fait savoir le MR.

Aucune responsabilité juridique

Pour ce parti, cette reconnaissance de la nature du régime colonial est sincère et nécessaire. Cependant, indique-t-il, elle n’implique aucune responsabilité juridique et ne peut donc pas donner lieu à des réparations. « L’heure n’est pas à la repentance éternelle mais au développement d’une relation forte avec le Congo, le Rwanda et le Burundi. Nous devons améliorer nos partenariats, qu’ils soient commerciaux ou scientifiques dans une relation d’égal à égal avec ces trois pays. Nous tourner vers l’avenir plutôt que sans cesse ressasser le passé au risque de tomber dans une polarisation de la société. Il faut rassembler et non diviser», a préconisé le député Benoît Piedboeuf.

Irrespect pour le travail parlementaire et irresponsabilité politique

Mais, pour sa part, le parti politique Ecolo a regretté qu’après deux ans de travaux, deux rapports d’experts, des centaines d’auditions, une visite de travail sur place et le travail intense du président de la commission, Wouter De Vriendt, pour trouver un accord sur ce sujet primordial, certains ont décidé de saboter l’ensemble du travail réalisé démontrant à la fois de l’irrespect pour le travail parlementaire et une irresponsabilité politique inacceptable.

Guillaume Defossé, député fédéral Ecolo, a déclaré : « Le consensus scientifique est pourtant clair sur la nécessité pour la Belgique de présenter des excuses au nom de la continuité des institutions et comme gage indispensable de sincérité dans les mesures réparatrices qui seraient prises. Nous avons entendu en commission des centaines d’experts qui allaient dans ce sens, y compris des juristes qui ont expressément exclu tout risque juridique qui pourrait en découler. L’opposition aux excuses ne peut donc être lue que comme le fruit déplorable d’un dogmatisme colonial ».

La Belgique pas à la hauteur des attentes

Ainsi, a estimé Ecolo, il est regrettable que la commission se termine donc sans rapport ni recommandations. « Ce processus unique au monde initié par la Belgique était pourtant suivi avec attention sur le plan international. Aujourd’hui, malgré la qualité du travail fourni, la Belgique n’a pas pu se montrer à la hauteur des attentes. L’absence de rapport et d’excuse est un nouveau coup dur pour les populations congolaise, rwandaise et burundaise, ainsi que leurs diasporas en Belgique qui ne se voient toujours ni respectées ni considérées face aux souffrances du passé. Alors qu’il a été démontré que le système colonial était caractérisé par une relation inégale de domination, de racisme et d’exploitation, il semble malgré tout que les mentalités n’ont finalement pas évolué partout autant que les écologistes l’espéraient », se convainc le parti politique.

Pour Guillaume Defossé, il reste néanmoins aujourd’hui des documents parlementaires comme le rapport des experts qui, s’ils ne seront pas votés, témoignent malgré tout du travail effectué, des propos inédits qui ont enfin pu être tenus dans l’enceinte de la démocratie belge et peuvent servir à faire évoluer la société de telle manière que la Belgique sera prête à enfin présenter des excuses à court ou moyen terme.

 

 

 

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Une vue des travaux à la Chambre belge

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