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Constitution : l'intellectuel face aux ouvriers

Samedi 14 Mars 2015 - 10:30

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Ce matin du 9 mars 2015, l’axe routier menant de la banlieue de Kintélé à « Petit-chose », la périphérie nord de Talangaï, le sixième arrondissement de Brazzaville, est, comme d’habitude très animé et les autobus raffolant du « demi-terrain », bondés. Celui dans lequel nous sommes embarqués pour parcourir une certaine distance ne roule pas à grande vitesse, du fait sans doute de l’encombrement.  Ce qui profite nettement aux passagers pour suivre le débat qu’ont engagé cinq jeunes garçons arcboutés à leurs positions. Celui-ci porte, vous-vous en doutez, sur la question devenue nationale, relative au changement ou non de la Constitution du 20 janvier 2002.

Disons d’entrée de jeu que sans être arbitraire,  la répartition des débatteurs est inégale. Ils sont quatre jeunes, sobrement habillés, opposés à un de leur compagnon de route vêtu costume-cravate, avec une besace. En fait, lui va au bureau, quelque part dans le centre-ville de Brazzaville et devra pour cela se soumettre aux acrobaties des gestionnaires privés du transport en commun en changeant chaque fois de bus. Eux, se rendent sans doute aussi dans les pourtours du centre de la capitale, vaquer à leurs occupations. A priori, tous sont logés à la même enseigne si l’on considère les tracasseries qu’ils affrontent matin et soir pour aller d’un lieu à l’autre de la ville.

N’ayant pas pris ces échanges à leur début, contentons-nous de rapporter le peu que nous avons vécu. Mais en traversant Kintélé, nos  amis avaient dû contempler, comme chaque jour, de plus en plus, les immeubles qui sortent de terre de ce côté-là, dédiés aux onzième Jeux africains de septembre prochain ainsi qu’à la future université Denis-Sassou-N’Guesso. S’ils prolongent le regard un peu plus loin, en direction du fleuve Congo, ils peuvent voir venir en contrebas, la route suspendue qui cerne sur son flanc droit, ou gauche, selon la position où l’on se trouve, le fameux quartier de Ngamakosso, visible par ses nombreuses huttes sommaires faites de tôles, encore appelées hangars.

« Ce qui me préoccupe, c’est une chose : nous devons respecter nos engagements. Si  nous avons pris un texte, comme la Constitution, nous devons en respecter les clauses », disait l’intellectuel.
« Oui, mais pourquoi rejeter l’idée de la changer, ou de la modifier, si tel est l’impératif du moment », rétorquait un des quatre compagnons ligués contre leur vis-à-vis. Et un de ses amis d’enchaîner : «  Nous sommes fatigués de courir, de fuir la guerre, laissez Sassou travailler, souvenez-vous que la paix au Congo, c’est Sassou ».
« Comment ça la paix c’est Sassou ? Donc  s’il quitte le pouvoir, il n’y aura plus la paix ? », rebondissait le fonctionnaire
« Oui, pour nous c’est cela. Nous avons trop souffert, et moi je viens d’avoir un enfant avec ma femme, il est si jeune, je ne veux plus les violences », renchérissait l’autre.
«  Ah oui, mais vous avez sans doute vécu la guerre du 5 juin et les explosions du 4 mars. Sur le dernier cas, avez-vous bénéficié d’un quelconque soutien des pouvoirs publics » ? chargeait le premier. Pour toute réponse, un des quatre jeunes exhibe un trousseau de clés «  Voici les clés de mon logement à Kintelé ; je vis mieux que quand j’habitais Mpila, toutes les conditions sont réunies ».
« Mais certaines familles continuent de vivre sous les tentes à Mpila », réplique leur interlocuteur :
« Oui, parmi ces familles, il y en a qui ont refusé d’occuper les logements qui leur ont été affectés à Kintelé, donc ce n’est pas entièrement de la faute des pouvoirs publics », argua un jeune.

Un peu agacé par ses nombreux contradicteurs, le jeune fonctionnaire ne cède rien : «  Regardez, ceci est ma carte de visite, je peux vous dire que je vis mieux, que je bénéficie énormément de ce pouvoir, certainement plus que vous qui parlez. Mais en tant qu’intellectuel, je vous dis que je refuse qu’on touche à la constitution ».  Ses interlocuteurs ne se préoccupent pas de lire sa carte de visite qu’il leur exhibe avec conviction.
«  Ce n’est pas de cela que nous parlons. Intellectuel ? C’est vous qui êtes à l’origine des désordres que connaît notre pays. Moi, je suis maçon qualifié, j’ai appris mon métier à l'école et je ne regrette pas ma position sociale. Pourquoi refuser le débat sur la Constitution, ou même son changement ?  Télé Congo montre  depuis un moment des séquences où la plupart des leaders politiques candidats à la présidentielle de 2009 disaient tout le mal de ce texte. Aujourd’hui, ils sont les premiers à refuser le débat sur le changement alors qu’ils l’ont réclamé à maintes reprises. Les hommes politiques sont les mêmes. Une fois au pouvoir, ceux qui parlent fort aujourd’hui feront la même chose, voire pire. Le peuple est fatigué des querelles partisanes ».

Sur ces entrefaites, nous étions arrivés à destination, mais pas les cinq jeunes, qui ont sans doute poursuivi leur discussion. Ce qui est apparu significatif, c’était de voir que ce sujet hautement politique passionne à ce point des jeunes de moins de vingt-cinq à trente ans, qui plus est, ils échangeaient sans violence verbale aucune se revoyant argument contre argument. Impressionnant !
 

Gankama N'Siah

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