De l’éthique en matière de santéMercredi 13 Août 2014 - 16:27 L’urgence sanitaire a eu raison des atermoiements et des débats interminables sur le pour et le contre La brusque flambée de l’épidémie d’Ebola en Afrique fait remonter en surface des questions longtemps tapies dans les tiroirs des seuls experts et, parfois, des humanitaires. Dans quelle mesure l’humanité présente-t-elle un risque suffisant pour amener à la mobilisation des moyens, savoirs et connaissances capables de sauver l’humain ? Le monde, on le sait, est rempli aujourd’hui de maladies classées parmi « les maladies oubliées ». Il n’y a pas longtemps, le Vatican a organisé une conférence internationale sur le sujet. Intitulée « Solidarité et Santé », la conférence soulignait que le monde des bien-portants et des bien-pensants continuait à vivre à côté de pas moins de 149 pathologies oubliées de la communauté des scientifiques. De l’ulcère de buruli à l’éléphantiasis, en passant par la trypanosomiase (maladie du sommeil) et même le paludisme, ces maladies ont la caractéristique identique de sévir de manière endémique dans les pays pauvres. Et, donc, d’intéresser très peu les chercheurs et les laboratoires pharmaceutiques. Un pauvre n’est déjà pas économiquement intéressant, ne parlons pas d’un malade qui serait en pauvre en plus ! Le virus d’Ebola nous montre que cette échelle de jugement peut et doit être brisée. On imagine bien que la décision de l’Organisation mondiale de la santé, OMS, de mettre à disposition des quatre pays les plus touchés d’Afrique la molécule américaine ZMapp de lutte contre l’Ebola a dû vaincre bien des réticences. D’ailleurs les 36 heures de débat à huis clos de sa commission d’éthique démontrent assez que les pour et les contre se sont largement faits front. Des pour et des contre s’évaluant en milliards de dollars retombées ou d’arguments juridiques et/ou commerciaux. En Italie, le premier ministre Matteo Renzi a téléphoné au président américain Barak Obama. Tous deux ont partagé la conviction qu’il faut « plus de ressources à l’Afrique pour faire face à l’épidémie ». Et MSF, Médecins sans frontières, y a mis le doigt sur la plaie à cacher : les médicaments expérimentaux n’ont-ils été autorisés que parce que des Occidentaux sont désormais touchés ? Il peut paraître dérisoire de débattre d’une question qui, même justifiée, n’aura comme résultat que de confirmer l’inégalité de la planète face à la maladie. Mais depuis le 20è siècle et l’éclatement des plus redoutables zoonoses (maladies transmises par des animaux), cette inégalité tend à n’être plus que simple discrimination de faits. Car le SARS, la vache folle, la grippe aviaire ont touché aussi bien pays riches que pays pauvres. Et même s’il peut paraître cynique de l’aborder par cet aspect, l’Ebola démontre aussi qu’il sait se jouer et des frontières et des races. La religieuse congolaise décédée en Sierra Leone, Sœur Chantale Pascaline, n’a pas été admise à faire partie des malades évacués en Espagne comme le père Miguel Pajares, avec qui il travaillait à l’hôpital Saint Joseph en Afrique. Sœur Chantale est décédée samedi matin à Monrovia ; le père Miguel, ce mardi matin à Madrid. Mais aux États-Unis, les deux missionnaires-médecins qui y avaient été admis en urgence voient leur état de santé s’améliorer grâce, suppose-t-on, au fait qu’ils ont été les premiers à recevoir le ZMapp expérimental. Ebola va donc sans doute créer de la jurisprudence en matière d’expérimentation sur des humains des médicaments et vaccins aujourd’hui disponibles. Car il existe peut-être dans quelque laboratoire de la planète le vaccin contre le Sida, le palu ou le diabète mais que les questions éthiques, procédurales ou commerciales retardent leur mise à disposition. Lucien Mpama |