Evocation : le revenant de Ngatali (14)

Jeudi 19 Mai 2022 - 18:28

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Le jour suivant la diffusion de la rumeur sur la bâtardise des enfants de Gabriel Elongo, une querelle vit le jour, grossit et s’enfla. Ngatali se divisa en deux camps. Certains blâmaient Nathanael Gwabira. Ses exploits amoureux passés auprès de la femme de Gabriel Elongo étaient jugés immoraux et assimilés à de la sorcellerie. Le camp des partisans de « coup de main » aux maris impuissants raillait ceux-là en louant les œuvres de « celui qui permit à la population de Ngatali de se multiplier ». Le sujet se mua rapidement en une querelle des époux et des concubins qui menaçait la paix du village. Justin Elongo et son clan, principale cible de la rumeur, se retrouvèrent comme par miracle au-dessus de la mêlée. Des partisans inespérés vinrent à leur rescousse. Les vociférations qui s’élevaient de la querelle accusaient la présence des bâtards dans tous les foyers de Ngatali. Dany Gwabira fut le premier à s’apercevoir de son mauvais calcul : son attaque avait échoué et menaçait de se retourner contre sa famille. Le sujet des enfants nés hors mariage était très sensible dans le village. Ce sujet contribua à polariser la population alors qu’il recherchait des appuis. Personne n’était dupe sur l’origine de la rumeur qui visait les Elongo. L’effet boomerang de cette rumeur contribua à former un puissant parti contre les Gwabira.

En effet, les nuits qui suivirent la manœuvre ratée de Dany et son oncle furent parmi les plus sinistres et les plus mouvementés de Ngatali. Le matin, les villageois commentaient terrorisés les appels au secours, les cris et le bruit des pas des inconnus qui couraient dans le village, frappaient les portes et disparaissaient sans attendre. Ce climat de terreur reçut une explication : la nuit, Ngatali était hanté par des revenants qu’il fallait rapidement réduire au silence. Sortis de nulle part, les noms de Nathanaël Gwabira et sa sœur Nia’ndinga furent relayés de bouche à oreille jusqu’à l’adjudant Gwabira consterné. La rumeur réclamait l’exhumation immédiate du frère et de la sœur et la crémation des restes du frère et de la sœur, et, leur crémation.

La contre-attaque des Elongo, concéda l’adjudant, était foudroyante et populaire. Alors qu’il espérait rapidement brandir le scalp d’un des Elongo aux gendarmes, c’est lui et les siens qui se retrouvaient le dos au mur face à l’exigence de crémation de leur parent. Il résolut d’appeler le colonel Sondzon à l’aide dans son premier rapport d’étape. Il écrivait :

  • Mon colonel,

Vous avez des beaux restes dans la sous-préfecture de P. comme à Ngatali et son voisinage. Votre prestige peut nous éviter le déshonneur qui nous menace si jamais votre oncle, mon père et sa sœur étaient exhumés et leurs restes jetés au feu de l’infamie.

Mon colonel, je n’hésiterai pas à ouvrir le feu sur le premier qui oserait s’approcher de notre caveau familial à des fins d’exhumation des restes mortuaires de mes parents.

Mon colonel, la peur des revenants habilement manipulée par Justin Elongo et son parti a créé une psychose qui pousse les habitants à la faute, à l’exhumation de Nahanaël Gwabira et sa sœur. Vous êtes, à l’heure où j’écris, avec M. le sous-préfet et ses gendarmes, les seules autorités qui peuvent encore empêcher le sang de couler à Ngatali…

Un renversement de situation se produisit alors que l’adjudant venait d’expédier son courrier. Des informations lui parvinrent selon lesquelles Elongo et les siens avaient abandonné l’épreuve de force qui s’annonçait mouvementée. A la place des pelles, ils avaient requis les services d’un certain Iloyi Djoungou réputé comme le fut Tsa’mbé dans la domestication des revenants. L’adjudant perçut rapidement le calcul de la partie adverse : le tour de passe-passe de Djoungou ne serait pas moins humiliant que la solution des pelles menacée par une opposition armée. Dans les faits, s’avisa l’adjudant, quelques jours après l’arrivée de Djoungou et ses séances d’exorcisme, ceux qui manipulaient les marionnettes de la peur devaient cesser leur jeu. Comme par miracle, les revenants disparaîtraient et la sérénité reviendrait à Ngatali et ses environs de nuit comme de jour. Au finish, la tare de revenant resterait estampillée sur le dos de la branche maternelle des Gwabira.

Hors, c’est justement cela que l’adjudant voulait éviter. (A suivre).

 

Ikkiya Ondai-Akiera

Notification: 

Non