Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (11)

Vendredi 30 Avril 2021 - 12:21

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11- La requête

L’arrivée des sbires d’Olomi a’Ngongo au ruisseau fut un évènement complètement inattendu pour Mwakoumba. Elle resta hébétée un moment, la tête en feu, cependant que les deux hommes avançaient dans sa direction. Ils s’arrêtèrent non loin d’elle. L’un d’eux fit un signe de la main l’invitant à se rapprocher. Il manifesta l’intention de la parler sans que les enfants blottis à ses côtés ne puissent rien entendre. Elle s’exécuta, comme poussée par un ressort.

Celui que Nyaka avait décrit comme le plus turbulent danseur d’Embonga prit la parole :

  • Adoua, je suis porteur d’une requête dont la diligence nous vaut cette intrusion dans l’intimité de votre quotidien. Tu voudras bien nous en excusez. Ta mère et ta tante ont convenu avec nous que l’affaire est de la plus haute importance et ne saura souffrir d’un inutile élargissement horaire sans de fâcheuses conséquences.

Il s’interrompit brièvement, fixa Mwakoumba dans les yeux et poursuivit sur un temps de plus en plus suggestif, en trainant la voix.

  • Naturellement, l’importance de l’affaire est telle que seule une réponse favorable à cette requête serait la bienvenue.

Il s’interrompit de nouveau, jeta un coup d’œil vers son compagnon comme s’il attendait de lui un assentiment nécessaire pour la suite de son discours. Celui-ci resta de marbre, le regard fixé sur Mwakoumba. La voix reprit avec le même débit et assena, énigmatique :

  •  Tu le comprendras tout à l’heure.

L’intrusion des noms de ses parentes éveilla l’attention de la jeune mère de famille. Elle devina les intentions de son interlocuteur et l’interrompit sèchement en le dévisageant :

  • De quoi voulez-vous parler ? Quelle est cette affaire dont l’échéance capitale ne saurait souffrir d’un ajournement, au point où vous êtes là à me poursuivre jusqu’ici, sur la berge de ce ruisseau où mon intimité est violée !?

Le danseur ne fut pas décontenancé par la réplique de la dame. Il paraissait sûr du cheminement de sa pensée et poursuivit sur un ton rassuré. Il abattit la carte suivante de son jeu :

  • Il s’agit de votre sœur Apila. Les nouvelles en provenance d’Ekoli renseignent qu’Etou a rompu l’entente au terme de laquelle, Apila restait captive chez lui, en attendant que la dot lui soit remboursée. Demain s’ouvrira Okkia, le marché forain de Lessanga, le plus grand espace dédié aux échanges commerciaux avant d’atteindre le fleuve. Vous le savez, les gens viendront de partout, du pays moye comme du pays bangangoulou, sans compter ceux qui viendront de tous les coins du pays mbochi. Or, Etou vient d’indiquer par un courrier que demain, tôt le matin, il conduira Apila à Lessanga où, très certainement, des preneurs se précipiteront de toute part à la vue de cette gracieuse beauté.  Etou rentrera dans son droit, la dot sera restituée mais,

 le danseur marqua de nouveau une pause, alourdit la voix puis, annonça d’un ton grave  - - Cette malheureuse Apila ne reverra plus jamais sa famille !

Mwakoumba n’était pas au courant du développement qu’elle venait d’entendre au sujet de la captivité de sa sœur.  C’était une nouvelle effrayante qui la bouleversa et la mit en larmes. Elle réussit, toutefois, à se reprendre en dépit de l’immense douleur qu’elle éprouva. La nature de la causerie qu’elle avait écoutée, naguère, derrière le mur de raphias entre ses parentes, Olomi a’Ngongo et les deux individus en face d’elle n’était pas pour faire du turbulent danseur d’Embonga un philanthrope et un avocat de la cause des individus déracinés où en voie de l’être comme c’était le cas de sa sœur Apila. Manifestement, estima-t-elle, le danseur n’avait pas encore abattu toutes ses cartes. Elle était intriguée par le fait qu’un individu qui n’avait rien à voir avec sa famille se préoccupa si vivement du sort de sa sœur en détresse. Où voulait-il en venir ? Elle résolut pour se faire une opinion de ramener le sujet à sa première expression alléguée par son interlocuteur à savoir la divulgation du contenu de la requête.

  • Vous venez, dites-vous, avec une importante requête de ma mère, que je dois examiner séance tenante avec avis favorable. Quelle est-elle ?

Le compagnon d’Olomi a’Ngongo ne répondit pas tout de suite. Il jeta un nouveau coup d’œil furtif vers l’énigmatique personnage qui l’accompagnait, attarda son regard sur la nappe d’eau qu’une légère brise ridait, posa les yeux sur les quatre gamines qui se tenaient serrées les unes aux autres derrière Adoua Mwakoumba. Il affronta le regard de cette dernière avec la même voix trainante et suggestive :

  • J’ai appris que vous venez de Bèlet, chez le seigneur Obambé Mboundjè. Ah, ces Falatchais dont seul le diable sait d’où ils viennent et ce qu’ils nous veulent. Paraît-il qu’il s’agit des fous à lier en situation d’invasion dans leur pays. Des fous qui tirent et tuent sans sommation sur tout ce qui bouge ! Nous aussi, nous avons été visités par ces fous armés jusqu’aux dents. Maintenant, Olomi a’Ngongo, mon compagnon et moi-même, sommes ici pour aider à la libération de votre sœur. Ce soir, ce sera déjà chose faite. Je puis vous annoncer cette bonne nouvelle.  En ce moment précis, pendant que je vous parle sur la rive de ce lac ridé par la brise, votre mère, votre tante Nyaka et notre ami Olomi a’Ngongo sont en route pour Ekoli. Ils vont tirer Apila des griffes vengeresses du roi Bouc. Ce dernier ne pourra plus assouvir sa vengeance en la trainant à la foire de Lessanga comme on l’aurait fait pour une bête de somme.

Il dut s’interrompre. Il avait remarqué la subite détente du visage ovale de Mwakoumba aux grands yeux noirs dominé par un nez busqué. Dans ses yeux embués de larmes quelques instants auparavant, pétillait maintenant une petite flamme allumée par l’espoir. Ngatsè Kololo, c’est ainsi que s’appelait le danseur, fort de ce constat favorable poussa les derniers pions de son jeu en décachetant le pli contenant la requête.

  • Nyaka votre tante qui est une lionne dans la cause de la libération de votre sœur, nous a rassuré sous serment qu’il y aura, à juste titre, un prêté pour un rendu si nous trouvons l’argent nécessaire au remboursement de la dot du roi Bouc.  Je puis témoigner sur le pagne inviolable de Tsonon amba Ngatsè, ma sœur utérine que, nous avons rempli notre part du contrat : au moment où je vous parle, je le répète, Nyaka, Olomi a’Ngongo et votre mère seront bientôt à Ekoli. Apila abandonnera les chaînes de la détresse et remplira sa famille de bonheur dès ce soir.

De nouveau il observa un silence. Le visage de Mwakoumba qu’il ne quittait plus d’un trait manifestait de l’impatience et, comme une certaine impériosité qui commandait à Kololo d’en finir.

  • En ce qui concerne la part du contrat qui incombe à votre famille, nous avons reçu de votre mère et de votre tante la totale assurance que la pièce de l’échange est entièrement entre vos mains, que nous n’aurons aucune difficulté d’entrer dans nos droits. En effet, tu le comprends aisément, il ne s’agit pas seulement de la vie de ta sœur, mais aussi de l’honneur de ta famille qui ne s’en remettra jamais si Apila était déracinée et basculait définitivement dans l’inconnue.

Il s’arrêta, respira puis reprit :

  • L’enfant d’Obambé Mboundjè, n’est-ce pas la gamine bronzée que voilà ? Mwana Okwèmet est son nom.  C’est d’elle qu’il s’agit. Nous nous sommes convenus que sa haute naissance compensera, sans nul doute, l’âge de ta sœur. Elle est au centre de la requête de tes parentes. Tout se passera bien. Tout à l’heure, sur le chemin du retour, quand nous serons au croisement des sentiers de votre quartier et de celui d’Emboli, tu la demanderas de nous accompagner ; Nyelenga ta fille la tiendra compagnie jusqu’à Emboli, après quoi elle la perdra de vue parce que les participants à la manifestation seront déjà nombreux. Je ramènerai Nyelenga en la rassurant qu’on retrouvera Mwana Okwèmet...Avec la tombée de la nuit et le fourmillement des manifestants, personne ne pourra te reprocher la disparition de la fillette.

Il ne put en dire plus. Mwakoumba ne l’écoutait plus. Tout ce qu’elle savait du complot contre la petite orpheline venait de se dévoiler en plein jour. Seule la scène de crime changeait de décor. (à suivre)

Ikkia Ondai Akiera

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