Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (25)

Vendredi 13 Août 2021 - 13:29

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25- Le sacrifice des vierges

L’exposé de Koula’ngui, dit avec l’emphase dont ce juge à la voix puissante avait coutume d’orner ses interventions, mit en lumière un point que personne n’avait oser toucher. En dépit de son habilité à jouer avec les euphémismes, Koula’ngui ne réalisa pas l’exploit de proposer autre chose que le sacrifice de Mwana Okwèmet et Nia’ndinga en échange de la paix de Bèlet. Il n’avait pas fini lorsqu’il fut fortement interrompu par un souffle haineux de voix féminines. Elah Koula’ngui, traité de tous les noms d’oiseaux, s’apprêta à abandonner la partie lorsque le milicien Ngaleyko’o vola à son secours.

- Mes très sages pères et, vous mes mères et sœurs à la voix bruyante, vous l’apprendrez ces jours-ci, je n’étais pas la personne idoine destinée à conduire cette mission ingrate. Mes aînés, Koua, Agguia’nga et Nganongo s’en sont tous dérobés. Okayi, le village de Koua est assis là-bas, derrière le ruisseau Bouémé à quelques verstes d’ici. Il a fui cette mission en s’écriant que la question dépassait son entendement. J’ai dû avaler des couleuvres pour accepter de venir ici, car, vous le savez, mon grand-père Ngaleyko’o Oboura fut le fidèle compagnon des pérégrinations du martyr de cette terre. Je ne suis pas la personne qui devait venir vous braquer et vous menacer de mort et de déportation. Je suis venu parce que j’ai fait le choix de sauver Bèlet et sa population. Mes sages pères, devais-je vous laisser tomber comme l’ont fait mes aînés Koua, Agguia’nga et Nganongo ? Devais-je également conclure que l’affaire dépasse mon entendement alors que mes deux chefs jurent et menaçent par tous les dieux cannibales de leurs pays d’incendier Bèlet et de déporter à la Machine tous ses hommes valides si jamais, on ne leur livrait pas les deux Anna. Avez-vous entendu parler de ce qui est arrivé aux habitants de Pama, Odjia, Nga’mba et Obala ? Avez-vous déjà quelque part rencontré l’un des squelettes revenus de la Machine l’année écoulée ? Vous n’en reviendrez jamais ! A Ossè’ndè, le chef Okandzé, lui-même, n’a pas pu convaincre Gbakoyo et Tabba de renoncer à leurs malsaines prétentions. Ces étrangers qui se nourrissent de la chair humaine dans leurs pays ne partagent pas nos us et coutumes…Ils pourlèchent les babines à longueur de journée à l’idée nauséabonde de s’accoupler avec les filles de leurs victimes…

Il fut violemment interrompu par Etumba-la-Ngoungou :

- Ils se nourrissent de chair humaine et, vous voulez que nos sœurs finissent dans leurs boyaux ?

Une vague d’indignation parcourut l’assistance. Les femmes reprirent à l’encontre du milicien les mêmes injures qu’elles avaient proférées contre le juge Koula’ngui. Ngaleyko’o dut crier pour se faire entendre :

- Non ! non ! ils ne les mangeront pas. Gbakoyo et Tabba sont affectés pour toujours à Ossè’ndè. Ils y resteront jusqu’au jour où le port du fusil deviendra un fardeau pour leurs bras. Etumba-la-Ngoungou : - Alors, ils retourneront dans leurs pays avec nos sœurs, neveux et nièces comme on sort de la brousse avec des gibiers à dépecer !

Ngatsala Tshomba :

- Des deux maux, nous devons choisir le moindre. J’ai accepté de joindre ma voix à celle de Koula’ngui et Ombélé sur l’assurance que Ngalefourou et Nia’ndinga seront à Ossè’ndè, à un jet de pierre d’ici…Elles seront assistées par leurs mères, nous les visiterons…

Venues du parterre des femmes, des hués ponctuées d’injures lui arrachèrent la parole. Un clair de lune aux puissants rayons dispersait les ténèbres. Alarmés par l’annonce du milicien Oshoèshoè, et par les craintes de Koula’ngui et ses compagnons, des participants venus d’autres quartiers s’étaient précipités chez Ibara E’Guéndé. La coutume avait institué de trancher les affaires du village en plénière. La déportation des hommes ou l’incendie du village ne relevait plus d’une affaire privée que seuls E’Guéndé et ses frères devaient trancher quand bien même le sort de leurs sœurs fut mis dans la balance.

Lui-même, E’Guéndé, commença de perdre son flegme. Le camp des partisans de la fermeté qui le soutenait s’amenuisa au fil des heures. Seuls, le chœur des femmes et quelques-uns de ses frères maintenaient la flamme. L’arrivée inattendue des habitants d’autres quartiers ne fut pas pour arranger ses affaires. Il savait que ces gens venaient tous le conjurer d’accepter le sacrifice de Ngalefourou et Nia’ndinga en échange de l’incendie du village ou de leur déportation à la Machine. Il le sentait dans les voix, les chuchotements et les conciliabules incessants dans la cour, à côté de sa maison. Devant le péril du saut dans l’inconnu que constitua pour chacun d’eux le départ à la Machine, ses compatriotes avaient paniqué. Les mêmes qui voulaient en découdre avec les miliciens dans l’après-midi avaient fait marche arrière. Maintenant, ils juraient tous par Ndinga Ebouélé qui prédit la malédiction des deux vierges.

Le coup de grâce vint du côté de son cadet Dimi Lemboffo. Au-delà de sa popularité, il bénéficiait de l’aura de celui qui reconstruit Bèlet après l’invasion de 1911. Cet évènement lui conféra, aux yeux des partisans du sacrifice des vierges, une légitimité et, comme un droit spécial à se prononcer sur l’affaire en cours. Longuement courtisé, Lemboffo délibéra :

- Il semble échapper à mon sage aîné les puissantes paroles prononcées naguère par notre père Etumba la Ngoungou. Quel est notre sort depuis que les Ebamis nous ont livré  pieds et  points liés à cette sauvage engeance de miliciens ? Ils ont, en tout lieu, un droit de vie ou de mort sur nous et, ma foi, je n’ai jamais vu un seul doigt se lever pour contrer leur décret…Ah ! ce jour fatidique qui vit Itchou mi Nganda refuser les termes léonins de l’échange que les Ebamis lui proposèrent. On le priva de son droit sur ses biens et de sa vie… Là, mon sage aîné, habitants de la cité aux mille clameurs, avons-nous la force de priver de vie ses nombreux pères de famille au nom de notre droit de refuser deux unions mal assorties ? (suite)

Ikkia Ondai Akiera

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