Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (6)

Vendredi 12 Mars 2021 - 12:15

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Opération terreur (suite)

 

Comme à son habitude, Lembo’o avait commencé de taquiner son lot quotidien de labeurs par les travaux champêtres. Très tôt en compagnie de certaines de ses co-épouses, elle avait bousculé brouillard et rosée pour aller arracher à la terre la nourriture de cette journée du 13 octobre 1911. Mwana Okwèmet ne l’accompagnait pas comme elle avait appris à le faire depuis quelque temps. Des matinées rituelles consacrées à Abandja, un bébé, filleul d’Obambé Mboundjè, occupait la gamine et ses camarades de jeu au domicile d’Elenga amba Obala, la dernière des 14 épouses de son père. Des décennies passeront, Abandja dont la santé fragile fut sauvée par la vertu exorciste du chœur des jeunes filles racontera un jour par le menu comment sa mère, son frère et le bébé d’un an qu’il était échappèrent miraculeusement aux balles de ceux qui étaient venus faire payer au prix fort à Bèlet, à son peuple et à son chef, autant leur insoumission, que leur insouciance et leur déphasage sur les affaires d’un monde où l’Europe avait juré que son salut passait par l’asservissement d’autres continents de la planète Terre..

 

Entre 6 heures et 7 heures, Bèlet continuait de s’agiter dans le brouillard comme un spectre pris dans un linceul blanc. Fébriles, des badauds continuaient d’observer avec inquiétude l’énigmatique colonne qui serpentait vers Bèlet. Le conclave d’Itsou m’Inganda et ses conseillers n’en finissait plus. Tenace, il continuait de balayer d’un revers de la main le péril qui selon ses conseillers menaçait de fondre sur la cité aux mille clameurs. Son argument restait le même : il n’avait jamais vu ça, ni entendu parler de cela ! En dépit du saccage d’Okkoo, du saccage d’Eytala’a et du meurtre de deux innocents à Okkoo, Obambé Mboundjè restait partisan d’une éthique de la guerre dictée par le jus bellum. Celle-ci devait être juste, déclarée, et notifiée à l’ennemi avec date et lieu où les différents belligérants devaient joyeusement trucider les corps. Il voyait la guerre comme un joyeux exercice de tirs bijectifs où les combattants tombaient de part et d’autre comme s’il s’agissait d’un simple jeu d’enfants. Le meurtre de trois Mbochis qu’on lui avait rapporté était, selon lui, plus une opération de terreur destinée à susciter l’effroi qu’un fait de guerre où des braves respectent le droit de la guerre...Même s’il ignorait tout des Français et de leurs coutumes, il ne comprenait pas et refusait de croire que ceux-ci voulaient l’attaquer sans raison valable et, dans le cas où il se trouverait une raison, celle-ci devrait accompagner d’une notification de la date et du lieu de l’affrontement. Le schéma terroriste d’individus tirant à vue sur des pacifiques villageois n’avait aucune place dans sa tête.

 

Le conseil en était à ces conjectures quand de violentes explosions et des tirs nourris dans le village l’ébranlèrent. Immédiatement, Mboundjè et les siens quittèrent la salle à palabres, longue véranda aux colonnes appelée « mbalé » classique dans les villages mbochis jusqu’à une récente période. Le spectacle qui s’offrit à leurs yeux était inédit, hallucinant. Des hommes armés, des Noirs, portant l’uniforme kaki coiffés de chéchias rouges couraient dans le village en tirant des coups de feu. Prise de panique, la population courait dans tous les sens poussant des cris d’effroi. Pour les conseillers impuissants, l’agression qu’ils redoutaient était en cours. Imperturbable, Obambé Mboundjè s’exclama de sa plus forte voix ;

  • D’où viennent ces fous qui terrorisent mon peuple ?

Debout, à quelques mètres de la case aux colonnes de Mboundjè, le capitaine André Lados, le lieutenant François Guyonnet, Courtois et un autre Français entourés de sous-fifres Africains contrôlaient l’opération de terreur que le capitaine venait de déclencher. Au questionnement indigné du chef de Bèlet, le capitaine répondit par un acte de folie conforme aux us et coutumes du pays d’où il venait. Déclenché par des forcenés, un feu nourri s’abattit sur Itsou m’Inganda et ses compagnons. On donna l’assaut sur la case aux colonnes. Les miliciens arrachèrent enfoui dans des couvertures Okwéré, le jeune fils d’Itsou m’Inganda que Lados ramena à Boka comme otage.

La nouvelle de l’assassinat d’Obambé Mboundjè parcourue les six quartiers de Bèlet à la vitesse de l’éclair. La terreur était à son comble : on fuyait de partout horrifié, traumatisé, tenaillé par l’effroi. Le raid avait fait plusieurs morts dans le village en dehors de Mboundjè et ses sept compagnons. Au nombre de ces derniers se trouvait le poète Mbella Apendé, griot à la cour, novateur du folklore olée, frère aîné d’Opéra Lembofo qui succéda dignement à son frère au sommet de la chanson mbochie. Mbella Apendé mourut aux côtés de son frère Osseré. Ils étaient les frères d’Elenga amba Obala et oncles maternels du bébé Abandja, le futur Mgr Benoît Gassongo.

 

Des colonnes de volontaires s’étaient formées dans les villages à la nouvelle de l’équipée belliciste qui marchait sur Bèlet. La première de ces colonnes était conduite par Mbola Okogno’o, le géant à la voix de stentor qui avait relayé le décret sur l’embargo du prince nga’Atsèssè lors du meeting d’Endolo. Il se trouvait non loin de Bèlet avec sa troupe quand lui parvinrent le bruit des explosions et le crépitement des armes. Il crut en la toute-puissance de Mboundjè, pensant que celui-ci mettait déjà en débandade les assaillants. Il se précipita avec sa troupe sur Bèlet à toute vitesse. Armés de fusils à pierre, ils déchargèrent sur l’ennemi leurs plombs puis se replièrent pour recharger le coup suivant. Cet inconvénient mécanique de leurs fusils signa leur perte. Surpris dans une clairière alors qu’ils rechargeaient les fusils, ils furent tous massacrés.

La seconde colonne des volontaires fut pétrifiée d’effroi au niveau du village Eykassa. La nouvelle de l’assassinat d’Itsou m’Inganda avait horrifié, révulsé et ramolli l’ardeur des combattants. L’un d’eux s’écria en bredouillant :

  • Mais, mais, il ne peut y avoir de bataille qu’en présence d’Obambé Mboundjè !

Perdue, et sans meneur, cette colonne se dispersa ajoutant à la confusion.

La troisième et dernière colonne était celle du prince nga’Atsèssè lui-même. En dépit de sa très petite taille, le prince dont l’ambition de règne en qualité du quatrième Tsahana fut concurrencée, contrariée et avortée par la conquête française était un homme de valeur conséquent avec lui-même. Il s’était mis en marche à la nouvelle que son allié était menacé d’agression. La désastreuse nouvelle lui parvint alors qu’il était déjà à Essamy, village situé non loin de Bèlet. La description de la puissance de feu des armes de l’ennemi ne lui laissait aucune chance. Néanmoins, fidèle à son caractère, il ne céda pas à la panique. Il rassembla les habitants d’Essamy et face à ses volontaires, il reprit ses imprécations contre l’envahisseur qu’il maudit. Il fit un fétiche, rassura le public sur la perdition qui menaçait l’envahisseur si jamais dans sa folie, il enjambait son fétiche. Car, selon lui, ce fétiche préservait Assoni, son territoire de toute aventure de l’ennemi. Il repartit à Olemey sa capitale, puis prit le maquis contre l’agresseur. Celui-ci recourut une nouvelle fois à une bassesse pour venir à bout de l’intraitable résistant. Le prince nga’Atsèssè déposa les armes en 1913 après deux années de maquis quand son fils Nianga Eyka’a fut capturé et brandi par le capitaine français comme pièce centrale des négociations de paix.

 

Ikkia Ondaï Akiera

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