Femmes et société en mutation : les domaines réservés tombent

Samedi 15 Mars 2014 - 3:42

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« C’est un métier d’homme, ça ! » Combien de fois n’a-t-on pas entendu une telle réflexion dans les familles ? Et combien de fois, partant de ces présupposés bien machistes, nos enfants – les filles surtout – n’ont-ils pas été mal orientés dans la vie parce que ceux à qui revient la décision les ont fermement conduits vers des carrières qui ne correspondent ni à leurs aptitudes ou aspirations ni, surtout, à la réalité d’une société qui ne devrait plus trouver anormal de voir une femme maçon, conductrice de bus ou de taxi ?

Quelques femmes congolaises ont bravé les mentalités et sont allées à l’assaut des bastions professionnels des seuls hommes. Nous avons choisi de vous présenter deux catégories de ces dames dans ce numéro, mais il n’est pas dit que dans les quartiers il n’y en ait pas d’autres qui savent porter bleu de travail et talons aiguilles. Des réparatrices de motos, des menuisières affirmées ou des peintres (quel est le féminin ?) en bâtiment sont de plus en plus une réalité sauf que, parfois, la difficulté est de savoir comment les appeler car dans beaucoup de domaines les hommes ont confisqué jusqu’aux titres ! 

Plutôt cinq femmes qu’une seule… Leur aventure débute lorsque, de retour au pays pour des congés, à bord de leur véhicule, un agent des forces de l’ordre décide de mettre leur voiture en fourrière pour infraction. La fourrière… cela suppose un véhicule de remorquage. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, que l’idée s’est imposée chez elles de monter leur société de dépannage et remorquage, Adra. Les deux sœurs Lynelle et Sabrina Mbobi, Nolwen Otto-Domoraud et leurs deux copines françaises, Christine Braumann et Ysée Dappe, sont aujourd’hui les patronnes comblées d’Assistance dépannage remorquage automobile (Adra).

Leur société, montée en 2009, a pris de l’envol et s’est étendue, œuvrant à Brazzaville et à Pointe-Noire. Leurs client sont aussi bien des particuliers qui veulent enlever leurs véhicules tombés en panne sur la voie publique que des compagnies d'assurances, des garages, ou encore, pour le cas de Brazzaville, le Bureau central des accidents et même l’Unité de la circulation routière de la ville-capitale.

« Au sein d’Adra, nous avons recruté et  formé. Le plus difficile pour nous est de trouver la technique pour dégager un camion. Les gens respectent notre travail et peuvent apprécier notre professionnalisme », explique Lynelle. À qui s’étonnerait de ce choix un peu atypique de carrière professionnelle, elle explique : « Pour le dépannage, il ne faut pas voir la force mais plutôt la stratégie. Chaque situation est différente, et il faut étudier l’environnement dans lequel vous allez opérer. » Donc, femme ou homme, seule compte l’aptitude à bien faire.

Les patronnes d’Adra sont des battantes dont le parcours les a fait se rencontrer en France, au sein d’une grande société d’assurances dépannage et sanitaire, AXA. Leur amitié les a portées. « On n’a rien inventé ; on a juste adapté notre expérience riche de plusieurs années. Après tout, le rêve américain existe. Nous, on a voulu  réaliser notre rêve congolais », souligne, un brin philosophe, Lynelle. Et l’avenir ? C’est Sabrina qui en parle : « Nous aurons d’autres prestations à proposer au public congolais. Pour l’heure, nous avons commencé avec l’assistance dépannage parce que cette technique est moins dangereuse en termes d’engagements comparée à l'assistance médicale, beaucoup plus pointilleuse », mais vers laquelle la société entend se diriger. 

Estelle-Nadège Ipangui, une femme chauffeur

Cette Congolaise d’une trentaine d’années est basée à Florence, en Italie. Revenue au pays pour lancer des activités commerciales, elle se prend au jeu et se retrouve chauffeur ! La faute… aux hommes ! Parce qu’au début, elle avait fait comme de nombreux Congolais : confier son véhicule à des hommes pour faire le taxi. Mais les affaires ont commencé à mal tourner : les recettes se faisaient de plus en plus petites, elle se faisait arnaquer de mille manières et, surtout, son véhicule était souvent en panne. D’où l’idée de se jeter à l’eau elle-même, étant détentrice d’un permis de conduire à trois cachets. Et la métamorphose financière se voit bien vite : recettes régulières,  véhicule en meilleure santé et n’allant pas de panne en panne : « Je m’étonne moi-même de voir comment les choses vont aujourd’hui. Depuis que je conduis mon véhicule, je ne tombe plus en panne. Cela, je l’explique par le fait que je fais attention lorsque je conduis. Les hommes à qui j’avais confié mon véhicule ne roulaient pas avec la même prudence, vraisemblablement. »

Dans l’exercice de son activité, ce sont surtout les femmes qui l’encouragent le plus. Ainsi, une dame lui a remis jusqu’à 25 000 FCFA en plus du prix de la course. De la part de certains hommes, c’est surtout le mépris qui prédomine de voir un champ d’action où ils sont majoritaires occupé par une femme. Mais Estelle-Nadège Ipangui a tout de même reçu récemment les encouragements de l’Unité de circulation routière. Cet organisme de la police envisage même d’organiser dorénavant une formation pour les femmes désireuses d’obtenir la catégorie de permis requis pour ce genre de métier, les permis B,C et D.

Luce-Jennyfer Mianzoukouta

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Christine Braumann, 34 ans, responsable comptabilité et finances d’Adra, basée en France. (© DR) ; Photo 2 : Dolwen Otto-Domoraud 34 ans, responsable administration agence Adra Brazzaville. (© DR) ; Photo 3 : Ysée Dappe, 28 ans, gérante associée agence Adra Pointe-Noire, responsable communication et marketing. (© DR) ; Photo 4 : Sabrina Mbobi, 34 ans, gérante associée agence Adra Pointe-Noire. (© DR) ; Photo 5 : Lynelle, 38 ans, gérante associée agence Adra Brazzaville. (© DR)