Grazina, un récit du train (10)

Jeudi 12 Juin 2025 - 19:29

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Causerie entre étudiants

Je rangeai les deux valises dans la fente aux bagages. Vers la fin de la manœuvre, elle ajouta un sac que je plaçai au même endroit. Elle était restée debout pendant que je me débattais avec son bagage.

Je descendis de l’espèce d’escabeau sur lequel j’étais monté pour atteindre la fente. Je me plantai droit devant elle en clamant :

  • Voilà, c’est fait !

Elle était détendue, souriante, et me gratifia un merci protocolaire tout en ajoutant :

  • C’est à vous de jouer.

On s’assit côte à côte comme des camarades de classe, à la manière des vieilles connaissances. On se dévisagea une nouvelle fois. Je sentis l’intensité d’un regard sympathique, calme et profond. Derrière ses lunettes de myopie scintillaient des yeux vifs colorés comme ceux d’un chat. Sa chevelure légèrement blonde donnait l’impression de tomber tout d’un coup du sommet du crâne, couvrait les oreilles, et, retombait en longues mèches sur le cou. Gratifié d’un grain de beauté du côté latéral gauche proche de la narine, le visage était joli, resplendissant de vitalité juvénile. Elle n’était pas grande de taille, sa   mince corpulence dessinait un corps de femme avec une lourde poitrine que trahissait sa marinière.

Je démarrai les présentations :

  • On m’appelle Rex. Rex Mondo, étudiant en philosophie à l’université de Leningrad.

Elle m’interrompit brusquement, voulant s’enquérir sur l’origine du nom Mondo

  • Mondo ?! c’est un mot ou un nom espagnol ?
  • C’est un nom africain, un nom bantou.
  • Bantou !? je ne comprends pas.

Je faillis rire. Mais, je dus lui apporter un éclaircissement :

  • Ici en Europe, vous avez des groupes ethniques comme les Slaves à l’Est, en Europe centrale et au Sud ; les Germaniques, au centre, au Nord et en Angleterre et les Celtes à l’Ouest, en Irlande et en Ecosse. En Afrique, les Bantous représentent le groupe ethnique dont l’habitat situé entre l’océan Atlantique et l’océan Indien parcourt l’Afrique centrale jusqu’à l’Afrique du sud.

Elle reprit la parole intéressée par une perspective familiale :

  • Un de mes cousins est entré l’année dernière à l’Institut des études orientales de l’université Lomonossov de Moscou. Au début, il balançait entre les études africaines et le Sud-Est asiatique. Il sera à Kaunas en août prochain pendant mon séjour à Dresde, je ne sais pas, jusqu’à ce jour quel est son choix définitif. Maintenant, dites-moi, de l’Afrique centrale au Cap de Bonne-Espérance, il y a beaucoup de pays. En dehors des langues européennes issues de la colonisation, avez-vous une langue bantoue unique à travers laquelle vous vous communiquez dans ce vaste espace ?

La pertinence de sa question était indiscutable. J’étais atterré de constater l’existence d’une tour de Babel bantoue en dépit d’une indéniable expansion du swahili dans les pays de l’Afrique de l’Est jusqu’à l’intérieur du Zaïre, et, de l’avancée à petits pas du lingala au Congo et au Zaïre. J’étais ignorant et dubitatif sur l’existence d’une langue panbantue en Afrique australe depuis la fin des conquêtes des généraux zoulous.

Je répondis à sa question en relevant ces aspects tout en faisant observer qu’il n’y avait pas plus de langue panslave ou de langue pancelte. Quitte à considérer l’anglais, langue anglo-saxonne, comme un avatar pangermanique.

Une nouvelle question cette fois-ci relative à mon domaine d’études fusa de sa bouche avec les accents et la tonalité d’un pré-requis au concours d’admission à la faculté de philosophie :

  • Vous êtes inscrit à la faculté de philosophie. Pensez-vous qu’il y a encore quelque chose à tirer du Ve siècle athénien ?

L’étonnement qu’afficha mon visage la précipita à justifier sa question.

  • Moi, je suis étudiante en agronomie à Kaunas, au centre de la Lituanie…

Je dus l’interrompre momentanément en clamant :

  • Vous venez de Kaunas ! La ville du roi Sabonis qui règne sur les parquets du basketball européen. Si vous saviez que je ne laisse jamais passer un seul de ses matches à la télé. Sabonis, quelle merveille ! Je parie que tout Kaunas suspend son souffle à chacune de ses prestations.

Patriote, elle but avec humilité mon émerveillement tout en ajoutant :

  • Il n’y a pas que les parquets européens sur lesquels il éclabousse son talent. Sabonis est aussi au top face aux Américains.

Je me précipitai de corroborer ce précieux détail en l’avalant illico. On referma l’intermède sportif et Grazina reprit le fil de ses idées.

Mon cousin dont je venais de parler jurait sur les philosophes grecs lorsqu’il était au lycée. On pensait qu’il trouvera sa voie dans ce vaste domaine. Puis, un jour, un de ses copains le mit en déroute après l’avoir cloué au sol avec la même question que je viens de vous poser. (A suivre)

 

 

 

 

François -Ikkiya Ondaï Akiera

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