Immigration : 25 pays africains menacés d'interdiction d’entrée aux États-Unis

Lundi 16 Juin 2025 - 17:02

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Une décision américaine à haut risque, qui inquiète l’Afrique, agite les relations Sud-Nord, une fracture diplomatique en gestation.

Les États-Unis s’apprêtent à durcir considérablement leur politique migratoire à l’égard du continent africain. Selon une note confidentielle, l’administration américaine envisage d’étendre la liste noire des interdictions de visa à 36 pays, dont 25 en Afrique. Ces pays disposent de 60 jours pour se conformer à des nouvelles exigences sécuritaires, sous peine de voir leurs ressortissants interdits d’entrée sur le territoire américain. Une décision lourde de conséquences pour les relations diplomatiques et économiques entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne. « Le respect des normes de sécurité et de fiabilité des documents de voyage n’est pas négociable », a déclaré le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, dans une communication officielle adressée aux ambassades concernées, datée du 14 juin 2025.

Un durcissement à visée sécuritaire et politique

Officiellement, Washington invoque des raisons de « sécurité nationale » : documents d’identité jugés peu fiables, fraudes administratives fréquentes, ou encore nombre élevé de dépassements de visas. Mais selon plusieurs diplomates africains, cette politique pourrait aussi s’inscrire dans une logique plus large de repli stratégique et de pression diplomatique, à l'approche des élections américaines. « Ce type de mesure ne peut être dissocié du contexte politique intérieur américain, où l’immigration reste un thème électoral sensible », note une source proche de l’Union africaine. Washington avait déjà annoncé, début juin, des interdictions de visa pour douze pays, dont le Congo, le Tchad et Haïti, et des restrictions ciblées pour le Togo et le Burundi. Ce nouvel élargissement de la liste marquerait un tournant, en touchant désormais des pays clés de la région ouest-africaine (Nigeria, Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal).

Une mesure aux répercussions géoéconomiques lourdes

La mesure risque d’impacter directement les échanges humains et économiques entre les États-Unis et l’Afrique. En 2024, plus de 340 000 visas temporaires ont été délivrés à des ressortissants africains. Pour plusieurs analystes, cela constitue un signal négatif dans un contexte où Washington tente de regagner du terrain face à l’influence croissante de la Chine, de la Russie et de la Turquie sur le continent. Une politique migratoire perçue comme punitive pourrait contrecarrer les efforts diplomatiques de l’initiative américaine Prosper Africa, censée renforcer les investissements et les liens économiques. « À l’heure où les États-Unis prétendent vouloir renforcer leur partenariat avec l’Afrique, cette mesure envoie exactement le message inverse », déplore un haut responsable de la CEDEAO.

Intelligence économique : un effet boomerang à anticiper

Du point de vue de l’intelligence économique, cette décision pourrait alimenter un basculement stratégique. Elle pourrait accélérer le basculement de certains pays africains vers des partenaires stratégiques perçus comme moins contraignants, qui ne conditionnent pas leurs relations à des critères migratoires   (Chine, Russie, Turquie, Émirats). En ciblant des États comme l’Égypte, le Nigeria ou l’Éthiopie, Washington risque de fragiliser des alliés régionaux et de nuire à sa propre influence dans les zones stratégiques comme le Sahel, la Corne de l’Afrique et le golfe de Guinée. Les tensions induites pourraient affaiblir la coopération sécuritaire antiterroriste ou en matière de lutte contre les trafics transnationaux. « Si les portes américaines se ferment, d’autres s’ouvrent à Pékin ou Moscou », commente Alioune Badara Sarr, analyste au Centre africain d’études stratégiques. « L’Afrique ne peut pas être traitée uniquement sous l’angle sécuritaire ».

Une fenêtre étroite : 60 jours pour se conformer…irréaliste

Les 25 pays africains concernés, parmi lesquels le Cameroun, le Sénégal, l’Éthiopie ou encore le Zimbabwe, ont deux mois pour « se mettre en règle ». Washington demande notamment  la mise à jour des bases de données biométriques ; la réduction des cas de visas dépassés ; la transparence administrative sur les identités. Or, dans des pays confrontés à des tensions internes ou à des fragilités institutionnelles  (Niger, Soudan du Sud, RDC), ces exigences s’avèrent techniquement  et politiquement délicates et difficiles à mettre en œuvre à brève échéance. Ce délai pourrait donc être perçu comme une injonction peu réaliste, voire contre-productive. « Nous demandons plus de temps et un accompagnement technique plutôt qu’un ultimatum », déclare un responsable ivoirien à l’ONU, sous couvert d’anonymat. « L’approche punitive est contre-productive ».

Vers une diplomatie plus asymétrique ?

En diplomatie, la forme est aussi importante que le fond. Le fait que cette décision ait été communiquée par voie de note interne, sans concertation préalable avec les pays africains concernés, a été mal perçu. Certains observateurs y voient une preuve d’asymétrie structurelle dans les relations Afrique-États-Unis. « Ce type de mesure unilatérale trahit une logique de domination plus que de coopération », estime le chercheur congolais Alain Mabanckou. Alors que l’Afrique représente le futur de la démographie mondiale et un pôle économique en pleine mutation, les États-Unis prennent un risque stratégique en adoptant des politiques perçues comme discriminatoires. Derrière une justification sécuritaire se dessine une réalité plus complexe, où les enjeux de souveraineté, de mobilité et d’influence s’entrechoquent. Washington devra veiller à ce que sa politique migratoire ne compromette pas ses ambitions africaines de long terme. Pour les Etats-Unis, il reste encore 60 jours pour choisir entre la sanction et la coopération. L’Afrique, elle, observe et s’adapte.

Noël Ndong

Notification: 

Non