Interview. Edwige Emile Ebakisse : « Nous travaillons sur l’autonomisation économique et l'inclusion financière des femmes du Nord du Congo »

Mardi 30 Novembre 2021 - 17:46

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A l’occasion de la 76édition de l’Assemble générale de l’Organisation des Nations unies, une conférence internationale au format hybride (en ligne et en présentiel) sur l’autonomisation économique et l’inclusion financière des femmes a été organisée, le 25 novembre à Paris, en collaboration avec la mairie de Puteaux. L’organisation de la conférence a coïncidé avec la célébration de la Journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes. A cette occasion, le Courrier de Kinshasa s’est entretenu avec l’initiatrice de la conférence, Edwige Emile Ebakisse, qui est présidente de Sud développement et vice-présidente de la Fondation A&J Ickonga.

Le courrier de Kinshasa (L.C.K) : Quel bilan faites-vous de cette conférence sur la question de l’autonomisation économique et l’ inclusion financière des femmes ?

Edwige Emile Ebakisse ( E. E. E) : Cette conférence a été pour nous une première occasion de faire parler des experts et d’avoir certains témoignages forts qui démontrent que l’autonomisation des femmes, surtout pendant ou après, parce qu’on est toujours dans la crise, a fait augmenter le taux de pauvreté des gens et tout particulièrement des femmes. Face à cela, quelles sont les solutions qui peuvent être apportées aux femmes pour rebondir, ou alors quelles sont les solutions qui peuvent être apportées aux femmes, pour avoir des activités génératrices de revenus ? C’était l’objectif principal de cette conférence. Cette dernière a été l’occasion de discuter des outils financiers qui peuvent être mis à disposition et sur les programmes de certains partenaires qui peuvent être utilisés par les femmes, afin qu’elles puissent s’en servir ou se rapprocher de ces institutions ou de ces entreprises pour trouver des solutions qui vont permettre  de développer des activités génératrices de revenus.

L.C.K : Quelles sont les conséquences socio-économiques de la pandémie de la covid 19 sur les activités des femmes en Afrique en général et dans les deux Congo en particulier ?

E.E.B : Les conséquences socio-économiques de la pandémie de la covid 19 sur les activités des femmes en Afrique en général et dans les deux Congo en particulier sont de plusieurs natures. Premièrement, la crise a engendré beaucoup de perturbations économiques dans les endroits où il y avait le confinement. Deuxièmement, la crise a entraîné aussi des complications, parce que l’Afrique dépend du marché mondial. Donc, on s’est rendu compte que même quand les pays n’étaient pas confinés, les échanges mondiaux étant ralentis, les économies africaines en ont beaucoup pâti, une situation très préjudiciable aux femmes, et tout particulièrement aux femmes du Congo Kinshasa. Donc, la crise a eu un impact économique  dans les nations africaines et dans les autres pays du monde, parce qu’on est dans un marché mondialisé et que, une fois que les grands échanges sont arrêtés, tout le monde en pâti plus ou moins.

L.C.K : Quels sont les freins à l’autonomisation des femmes et les conséquences sur leur épanouissement économique ?

E.E.B : Premièrement, les entraves à la scolarisation des filles constituent un frein majeur. Dans certaines sociétés, on estime qu’il ne sert à rien d’investir dans une fille pour qu’elle aille à l’école. Deuxièmement, la grande pauvreté empêche souvent les familles de scolariser les enfants de manière générale, et les filles en particulier. Donc, cette grande pauvreté ne permet pas aux familles de faire face aux coûts de l’éducation et de la santé. Les conflits armés, qui engendrent souvent l’insécurité, sont également un autre frein. En outre, la discrimination des femmes sur le marché du travail est aussi un problème qu’on connaît dans toutes les sociétés, notamment en matière de disparités des salaires. Donc, les femmes sont toujours un peu plus pauvres, parce qu’elles gagnent moins, même à salaire égal. La femme handicapée et les femmes autochtones aussi présentent un risque accru d’isolement social, ce qui les voue à une grande vulnérabilité face à la pauvreté. Et pourtant, une fille scolarisée, est garante d’un avenir meilleur pour plusieurs personnes, instruites et éduquées, parce qu’elle va éduquer ses enfants et motivera ses propres filles à être autonomes. Donc, l’autonomie donne la possibilité de faire des choix économiques et d’influencer les structures économiques de nos sociétés. Il est ainsi très important que les filles et les femmes participent aussi au développement économique de nos nations grâce à cette autonomisation économique et à l’inclusion financière. Cette dernière revêt un caractère particulier parce que l’analphabétisme, surtout en zone rurale, est un frein au développement économique des femmes. Aujourd’hui, on parle d’inclusion financière, d’outils adaptés, de payement par le téléphone, etc., à des femmes qui ne savent ni lire, ni écrire. Comment vont-elles avoir accès à ces outils ? Nous réfléchissons à ces questions et, au niveau  de la Fondation Auxence & Justine Ickonga, nous sommes en train de mettre en place un programme dénommé « Jokwa» (Apprendre) qui permettra aux femmes de savoir bien utiliser un smartphone et tous les outils financiers qui y sont liés.

L.C.K : La conférence a également été l’occasion de parler de la violence faite aux femmes. Comment donc rendre autonomes économiquement, les femmes victimes des différents types de violences ?

E.E.B : Il existe plusieurs types des violences et il n’y a pas un programme spécifique adapté aux femmes qui subissent des violences. Il faudrait qu'il y ait des programmes pour autonomiser des femmes mais que ces programmes soient orientés vers des femmes qui subissent des violences en particulier, c’est-à-dire qu'elles doivent être prioritaires dans la sélection des personnes bénéficiaires de ces programmes. Catégoriser les femmes me fait penser à une forme de discrimination. Est-ce qu’une femme qui subit des violences a plus droit à des programmes d'autonomisation que les autres ? La réponse est non. Les femmes ont besoin des programmes qui leur permettront d'avoir des emplois et de créer des entreprises ou des micro entreprises. Toutes en ont besoin, mais on doit aussi, ou particulièrement,  mettre un accent sur celles qui sont peut-être les plus vulnérables, notamment celles qui ont subi des violences. Donc, tous les programmes qui existent doivent aussi bénéficier à ces femmes qui subissent des violences. 

L.C.K: Quels sont les outils financiers que les experts ont proposés pour aider les femmes dans leur quête d’autonomisation économique ?

E.E.B : la société OACAM, basée à Londres,  qui fait des micro-prêts aux femmes entrepreneures, permet à des personnes d'avoir accès à des prêts, mais de manière digitale. Donc, on revient encore sur la question de l'alphabétisation. Ça veut dire qu'il n’y a qu'une catégorie de personnes qui pourra avoir accès à ces prêts et pas forcément les personnes issues d’un milieu rural. En outre, L’Oréal a lancé le programme « Women Found » qui finance des projet de groupes, c’est-à-dire des projets des associations de femmes qui ont subi les conséquences de la crise de la covid 19 et qui se sont appauvries. Ces associations de femmes peuvent soumettre des projets qui seront étudiés en vue d’un éventuel financement. Bien plus, des sociétés de transfert de fonds comme Moneygram sont en train de réfléchir sur la mise en place de programmes spécifiques pour les femmes. En outre, certaines banques présentes lors de la conférence permettent d'avoir des prêts dédiés aux femmes. Donc, dans les prochains jours, sur le site de la Fondation A&J Ickonga, vous pourrez avoir accès au résumé de ces assises, et aussi des orientations, puisqu'on a organisé la conférence pour informer majoritairement les femmes sur les services financiers et les outils financiers qui leur sont dédiés et mis à leur disposition.

Par ailleurs, la Fondation Bill & Melinda Gates, qui était très présente lors de la conférence, dispose également de programmes dédiés à l’autonomisation des femmes, mais qui sont plus orientés vers les grandes institutions. Donc, ce sont ces grandes institutions qui mettent déjà en place des programmes. Ainsi, la Banque africaine de développement (BAD) a des outils financiers dédiés aux femmes et qui sont, en majorité, financés par la Fondation Bill & Melina Gates. Il faut plutôt s’orienter vers la BAD pour bénéficier indirectement de l'appui de la Fondation. D’autres partenaires vont être présentés dans les prochains jours, toujours sur le site internet de la Fondation, et ils vont permettre à de nombreuses femmes ou à de nombreuses organisations de femmes de bénéficier de certains programmes. Nous travaillons particulièrement sur l’autonomisation économique et l'inclusion financière des femmes du Nord du Congo, de la région de Makoua, en République du Congo. Ce sont des programmes pilotes d'accompagnement des femmes qu'on va mettre en place pour leur permettre déjà d'avoir de nouvelles filières, des filières innovantes qui vont leur permettre de bénéficier de formations, de l'éducation et surtout d’un accompagnement pour développer des programmes au travers des groupements d'intérêts économiques, pour avoir l’accès au marché ou encore pour la commercialisation des produits.

L.C.K : Quel message pouvez-vous  adresser aux Africaines ?

E.E.B : Le message à adresser aux femmes africaines en particulier est de croire, de continuer à se battre, de savoir qu’elles ont un rôle à  jouer dans l’économie africaine et qu'elles continuent d’aller vers les institutions, les associations et les organismes financiers qui leur donnent la possibilité d’avoir un peu plus de financement pour développer leurs activités, quelle que soit l'activité. Il n'y a pas de petite ou grande activité économique. Que celles qui sont formées et qui cherchent des emplois sachent qu'il y'a de plus en plus de sociétés ou d’ entreprises en Afrique qui peuvent les aider à avoir des emplois. J’encourage toutes les Africaines à continuer d’avancer et de progresser dans le développement de l'Afrique. J’adresse un message particulier pour le petit groupe de femmes commerçantes, battantes de Makoua, pour leur dire que nous sommes là, et que nous allons toujours, ensemble, la main dans la main, évoluer, progresser, créer de nouvelles opportunités pour elles, et les aider à développer des activités.

Propos recueillis par Adrienne Londole

Légendes et crédits photo : 

Edwige Emile Ebakisse (Copyright PRESSCREA AGENCY)

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