Interview. Jacques Djoli : « Il est difficile d’asseoir une démocratie dans un contexte de pauvreté »

Jeudi 24 Septembre 2015 - 18:45

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Professeur d’université, ancien vice-president de la Céni et cadre du Mouvement de libération du Congo, le sénateur Jacques Djoli analyse l’actualité politique de ces dernières heures en tirant des enseignements sur les péripéties ayant entouré la dissidence du G7 de la coalition au pouvoir.    

Les Dépêches de Brazzaville : Que vous inspire la récente dissidence créée au sein de la majorité présidentielle par les membres du G7 sur fond de reniement et d’allégeance vis-à-vis des chefs de leurs partis politiques respectifs ?

Jacques Djoli : La première chose que nous devons relever, c’est la vitalité de l’activité démocratique dans notre pays. Dans sa Constitution, notre pays se proclame être une République démocratique. Et dans son identité constitutionnelle, il est question de pluralisme politique. Et les partis politiques jouent un rôle-clé. Il est un fait que par le système électoral, nous disposons d’une scène politique caractérisée par une pluralité des partis politiques. On a atteint un nombre qui avoisinerait les cinq cent partis politiques.    

LDB : Est-ce un fait normal ?

JD : C’est normal pour la naissance d’un système politique. C’est aussi normal à cause du mode de scrutin, la proportionnelle, qui entraîne l’émiettement du pays. Il n‘y a pas un soubassement idéologique mais des intérêts opportunistes. Et la conséquence, c’est cette transhumance politique que nous observons, cette mobilité négative de la scène politique où les acteurs sont dominés par la recherche d’intérêts personnels plutôt que par la cohérence et la puissance de l’idéologie.   

LDB : Quelle peut être la sanction pour un député qui se désolidarise du parti politique de qui il tient son mandat pour avoir été élu sur sa liste ?   

JD : La logique juridique de notre système des partis est claire. On est élu sur la liste d’un parti. Et la Constitution nous dit que lorsqu’on a quitté volontairement son parti, on perd automatiquement son mandat obtenu sous le label de ce parti politique. Donc, on est élu soit indépendant. Malheureusement, 28% des membres de notre Parlement sont des indépendants ou des chefs des partis personnels et ne représentent qu’eux-mêmes. Les partis politiques sont dans ce cas très faibles. Ce sont des partis qui sont pour la plupart financés et contrôlés par l‘autorité morale qui les a aidés souvent à se faire élire, à défaut de se faire élire eux-mêmes. Donc, la consistance idéologique et la cohérence organisationnelle sont très faibles. Ce qui fait que l’autorité morale d’aujourd’hui peut être dépassée par une nouvelle qui  octroie à un membre la fonction ministérielle ou la fonction dans les entreprises ou autres. À partir de ce moment-là, lorsque vous demandez à un membre d’un parti de suivre la ligne du parti, il regarde d’abord ses intérêts et le caractère juteux du poste qu’il occupe. C’est ça malheureusement la situation. Et le texte juridique même ne nous aide pas parce qu’il nous dit que celui qui aura quitté délibérément son parti perd son mandat.   

LDB : Et si ce dernier utilise une autre stratégie pour conserver son mandat ?

JD : C’est une façon de quitter à moins que la Cour constitutionnelle nous éclaire un peu là-dessus. La Constitution dit : «Tout député ou sénateur qui quitte délibérément son parti durant la législature est réputé renoncé à son mandat détenu dans le cadre dudit parti ». Ici, nous devons saluer la démarche d’un parti comme le MSR où l’on voit, pour la première fois, un parti qui a pris une option et ses membres au gouvernement démissionnent, de même ceux qui sont dans d’autres institutions. Je crois que c’est une lueur d’émergence des politiques structurées autour d’un certain nombre des valeurs éthiques et déontologiques.

LDB : Un parti politique dispose-t-il des moyens de coercition pour contraindre un membre qui refuse de libérer son poste ?

JD : Tout se passe au niveau des partis. Ce sont des structures personnelles où tout tourne autour de l’autorité morale, comme indiqué plus haut. Ce qui fait que le parti n’est pas lui-même démocratique et ses structures ne fonctionnent pas. À partir du moment, il est parfois difficile aux membres d’un parti d’obéir comme dans une sorte de caporalisation aux injonctions émanant des autorités morales. Dans ce cas-là, la loi sur les partis politiques prévoit des mécanismes de règlement des conflits, c’est-à-dire c’est le tribunal de grande instance qui doit résoudre le problème. Voilà une première piste. Une deuxième piste, c’est lorsque le parti s’est régulièrement réuni et qu’il y ait eu une déclaration formelle de ses instances décisionnelles qui arrêtent une ligne politique.

En ce moment, par décence politique et aussi par obligation constitutionnelle, celui qui ne partage plus la ligne du parti a l’obligation morale de remettre le mandat du parti, parce que nous ne sommes pas juridiquement élus à titre individuel, à moins que l’on soit indépendant. Dès lors que votre parti politique se retire et prend une telle ligne et que vous n’êtes pas d’accord, vous avez quitté délibérément et la décence commande de remettre le mandat du parti pour chercher un nouveau mandat sous le label de la nouvelle autorité morale à laquelle l’on fait allégeance. Le droit constitutionnel est un droit des gens civilisés et pas le droit des mécréants, des voyous comme le droit pénal et autres,  c’est-à-dire que lorsqu’on ne partage pas la conviction d’un parti, vous ne devez pas devenir un électron libre. Vous quittez le parti de l‘opposition pour adhérer dans la majorité, la moindre des choses, c’est de rendre le mandat des autres. C’est vrai qu’il y a une déception lorsqu’on voit des reniements un peu partout. Ce qui démontre qu’il est difficile d’asseoir une démocratie dans un contexte de pauvreté.  

LDB : Une façon d’affirmer que les formations politiques ne sont guidées que par la puissance de d‘argent ?    

JD : Il faut avoir une vision globale. Au-delà de la Constitution et la loi sur les partis politiques, il y a aussi des textes qu’il faut mettre en place. Par exemple, la loi sur le financement des partis politiques, la loi sur l’opposition, etc, bref un ensemble des textes qui auraient pu permettre à l’opposition de se structurer solidement.

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Jacques Djoli

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