Interview. Nicola Katako : « Pour son succès, le dialogue devrait obtenir l’accompagnement des partenaires au développement »

Jeudi 11 Juin 2015 - 13:20

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Juriste de son état, ancien magistrat ayant troqué sa toge contre la technostructure politique, de l’époque de Mobutu à celle de M’zée Kabila, avant de redevenir partenaire de la justice par le biais du barreau, Me Nicolas Katako est un observateur avisé de la scène politique congolaise. À travers cet entretien, il aborde la question de l’opportunité d’un nouveau dialogue entre Congolais. 

Les Dépêches de Brazzaville : La RDC traverse une phase importante de son histoire où elle doit faire un choix entre le respect du calendrier électoral global publié par la Céni et l’organisation d’un nouveau dialogue entre les acteurs sociopolitiques. Quelle est, à votre avis, la meilleure option ?

Nicolas Katako : Effectivement, notre pays se trouve actuellement dans une phase cruciale de son douloureux processus évolutif. L’histoire politique du Congo-Zaïre est tellement complexe que sous l’empire de la Constitution fictive du 18 février 2006, le seul respect du calendrier électoral global publié par la Céni, à la demande des partenaires au développement, n’offre aucune voie de sortie. Le dialogue national s’avère incontournable si l’on veut réellement briser le cercle vicieux dans lequel notre pays se trouve enfermé.   

LDB : Que représente ce dialogue pour votre formation politique et qu’est-ce qui pourrait le justifier à plus ou moins vingt mois de la présidentielle ?  

NK : Au Congo-Zaïre, il me semble incorrect de parler de formations ou partis politiques. Parlons plutôt de boutiques et de sectes regroupant autour des « riches » propriétaires et des gourous particularistes (qui les gèrent conformément à leurs propres règlements d’entreprise et à leurs propres évangiles) des individus ne partageant comme idéal commun que de viles préoccupations mercantilistes égoïstes. Pour ce genre de partis politiques sui generis, le seul intérêt du dialogue national ne peut être que le partage du gâteau national et le « per diem ». Sans plus, Il n’y a pas d’honneur ni fierté à s’en prévaloir. Par ailleurs, à quoi faites-vous allusion quand vous parlez de vingt mois de la présidentielle ? Au respect des délais d’une Constitution fictive, de ce vrai faux en écriture du 18 février 2006 qui n’a aucun effet juridique valable ? Les questions de fond concernant notre pays sont tellement profondes que la seule alternance au pouvoir, selon des délais constitutionnels, et dans une démocratie de façade, n’est que distraction. Le dialogue national en perspective devrait constituer le grand moment d’en parler.

LDB : Les Concertations nationales ont notamment eu comme conséquence un réaménagement technique de l’équipe gouvernementale. Ont-elles pour autant résorbé les problèmes d’autrefois ? Le dialogue annoncé n’exprime-t-il pas un sentiment d’inachevé desdites concertations nationales ?

NK : C’est l’évidence même, au regard de ce que je viens de dire. En effet, les dernières Concertations nationales ont été convoquées par le chef de l’État dans le but principal de rechercher la cohésion nationale, c’est-à-dire la communion de cœurs et d’esprits des Congolais, la réconciliation nationale à tous les niveaux de la communauté nationale brisée par une longue administration coloniale séparatiste (diviser pour régner) et un long chaos postcolonial. Cela pour, à l’unisson, remettre sur orbite leur pays à la dérive aussitôt solennellement proclamée son indépendance, « en accord et en amitié avec la Belgique ». L’ultime finalité de ces concertations étant de restaurer l’État de droit, souverain, républicain et démocratique enterré avec son acte fondateur en septembre 1960. Malheureusement, avec une classe politique déglinguée et égoïste à souhait, ces Concertations nationales ont accouché d’une souris, ne s’étant, comme toujours, limitées qu’au partage du gâteau national. Souvenez-vous du tollé qu’avait suscité au sein des délégués à ces Concertations la drastique révision à la baisse, par le technocrate Matata Ponyo, du volet « per diem » !

LDB : Au regard de l’engouement autour du dialogue et des critiques formulées vis-à-vis du calendrier électoral publié par la Céni le 12 février 2015, pensez-vous que les acteurs politiques congolais sont prêts à affronter les élections provinciales dès octobre prochain ?

NK : Sous l’empire de la Constitution anticonstitutionnelle du 18 février 2006, génitrice naturelle avérée des « glissements », car aveuglement mimée et venue de l’Occident, en étant, de ce fait, en déphasage avec les  réalités congolaises spécifiques du moment, aucun acteur politique congolais  sérieux ne peut se sentir à l’aise pour affronter les élections à l’état actuel des choses. Et pourquoi les provinciales avant les locales dans un État se voulant décentralisé ? Depuis 2006, les élections locales, prescription impérative de la « Constitution » du 18 février 2006, car vitales pour un système décentralisé, sont toujours renvoyées aux calendes grecques. À quand le strict respect de la Constitution pour ce qui les concerne ? Pourquoi, à la différence de l’institution « Président de la République », le Sénat, les Assemblées provinciales et les gouvernements provinciaux peuvent-ils « glisser » sans susciter le moindre émoi à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ? Cette légalité à géométrie variable n’est-il pas le sommet de l’iceberg, l’arbre qui cache la forêt ? De quel État de droit veut-on alors parler ?

LDB : Quelle est la solution idéale pour résoudre définitivement le problème congolais caractérisé par des dialogues et des concertations tous les cinq ans ?

NK : La répétition des dialogues depuis 1960 est révélatrice d’un malaise profond. Tous les dialogues et concertations organisés par les Congolais n’ont toujours été que superficiels et n’ont jamais mis le doigt dans la plaie. À court terme, le dialogue national paraît, aujourd’hui, la voie idoine. Mais un dialogue national différent de tous les précédents. Cette fois-ci, les Congolais doivent se parler en responsables, en frères et compagnons d’infortune embarqués dans un même bateau en naufrage depuis belle lurette.

Mais, pour son succès, je pense humblement que le dialogue entre Congolais en perspective devrait obtenir le bienveillant accompagnement des partenaires au développement. Ce qui, au préalable, suppose un dialogue franc et sincère entre ces derniers (qui sont aussi les gendarmes du monde) et les dirigeants congolais. Brandir les biceps, d’un côté, et s’offrir en martyr, de l’autre, s’avèrent absolument contre-productif dans l’actuel village planétaire néolibéral, avec ses lancinantes exigences (état de droit, démocratie, bonne gouvernance, droits de l’homme, sain business …) que les uns et les autres semblent avoir de la peine à respecter, se rejetant réciproquement la pierre.

De 1482 à ce jour, beaucoup de choses ont évolué. La priorité de l’actuel millénaire du monde globalisé a pour nom « réduction de la pauvreté ». Le Congo-Zaïre est une partie non négligeable de la solution ; les partenaires au développement également. Il est temps de faire la paix entre eux, de dialoguer en toute humilité et d’accorder les violons, dès lors que, de mon point de vue, aucun des deux camps n’est à l’abri des critiques sur le chaos congolais, manifestement né de leurs incompréhensions. De leur consensus (réalisable), dépendra le succès du futur dialogue national entre Congolais.

À moyen et long termes, l’actuelle élite dirigeante congolaise, qui a suffisamment affiché ses limites et se trouve, heureusement, à l’âge de ménopause après avoir engendré des monstres, est appelée à passer rapidement le flambeau à une équipe novatrice conduite par des citoyens profondément pétris de l’intérêt général et suffisamment édifiés sur l’histoire politique chaotique de leur pays perpétuellement dans l’œil du cyclone des intérêts géostratégiques.  

Propos recueillis par Jeannot Kayuba

Jeannot Kayuba

Légendes et crédits photo : 

Me Nicolas Katako

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