Irène Mboukou-Kimbatsa : « L’égalité, c’est dans nos têtes »

Samedi 8 Mars 2014 - 3:47

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Promue conseillère du président de la République, chargée de l’Agriculture, de l’Élevage, de la Pêche et de l’Aquaculture, Irène Mboukou-Kimbatsa est une femme moderne. Ingénieur agronome de formation, cette maman devenue grand-mère combat pour une égalité des cerveaux en joignant vie de famille et vie de travail. Le ciel l’a bénie en l’entourant de personnes compréhensives qui lui font confiance et l’aident à s’épanouir. Elle se dévoile dans nos colonnes

Les Dépêches de Brazzaville : Le 8 mars de chaque année, les regards se tournent vers la Journée mondiale de la femme. À quoi pensez-vous à ce moment-là ?
Irène Mboukou-Kimbatsa : La femme est à pied d’œuvre tous les jours, mais ce jour est un moment de réflexion outre le côté festif. La femme doit s’arrêter pour faire un peu le point de son passé, présent, futur et ne jamais oublier les femmes martyres qui ont su dire « Non ! Assez ! Il faut agir ! » C’est aussi un jour pour faire le point de ce que la femme représente pour le monde, pour le développement, pour la société ; questionner ce qu’elle a fait, devrait faire et n’a pas encore fait, et ce qui lui reste à faire.

Que vous inspire le thème « l’égalité pour les femmes c’est le progrès pour toutes et tous » ? Vous sentez-vous en phase avec cette affirmation ?
C’est un grand thème. Le cabinet du chef de l’État a été renouvelé le 10 janvier 2013. Et dix dames y figurent. C’est un chiffre non négligeable, car nous sommes autour de 20% de l’équipe des conseillers du président de la République. Moi je suis fière d’être congolaise, parce que le Congo n’a pas fait de distinction à l’école entre les filles et les garçons. Je me souviens qu’à l’école nous nous battions avec les garçons, pas avec nos muscles mais avec nos têtes. Nous étions un groupe de dix, neuf en sont sortis docteur, et une dame a tenu tête. On peut dire que ce n’est que 10%, mais c’est significatif. Une société qui reconnaît que la femme a la capacité de réfléchir autant que l’homme a compris que son évolution est certaine. Actuellement, les femmes assurent les mêmes responsabilités que les hommes. Nous trouvons des femmes qui assure à la fois le rôle de père et mère de famille, avec à charge des enfants, à l’exemple de ma mère qui a élevé huit enfants avec son salaire d’enseignante, il n’y avait pas de papa à côté. Les femmes sont aussi compétentes que les hommes, tout ce qui reste ce sont les a priori. Cette inégalité est aussi accentuée par nous-mêmes, les femmes, dans l’éducation des enfants, un héritage culturel de différenciation entre la fille et le garçon. Et nous devons commencer à changer nos mentalités, ne plus présenter la fille en position d’infériorité vis-à-vis de leur frère.

Quelle fut votre expérience avant de vous retrouver conseillère au cabinet du président de la République ?
Mon expérience est grande. J’ai toujours dit à mes étudiantes au moment où je faisais cours que rien n’était impossible. Après l’obtention de mon baccalauréat, je suis partie pour un deuxième cycle en Bulgarie où j’ai achevé mes études d’agronomie avec un titre d’ingénieur agronome. Et j’ai fait ces études avec un bébé que j’ai eu en première année. Et cela ne m’a pas empêchée de terminer mes études d’ingénieur au bout de cinq ans, comme prévu. Je suis allée en France pour des études de troisième cycle où j’ai commencé par un diplôme d’études spécialisées (université Paris 12-Créteil), puis je me suis inscrite en doctorat (université Paris 6-Jussieu, Pierre-et-Marie-Curie), et mon laboratoire de recherche était à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), ex-Orostom, en région parisienne, où j’ai préparé ma thèse sur l’écologie des sols tropicaux. J’ai été chercheur dans ce domaine à l’IRD de Pointe-Noire entre 1998-2006, j’étais chercheur associé dans les programmes et j’ai enseigné de 2001 à 2010 pour des étudiants de troisième année de cycle long et de deuxième année de cycle court. J’ai été consultante pour le compte de la Banque mondiale avant d’être recrutée dans le projet de développement agricole et de réhabilitation des pistes rurales en tant que responsable de suivi et d’évaluation et responsable de suivi des mesures environnementales et sociales. C’est à partir de ce projet que j’ai été nommée au cabinet du chef de l’État comme conseillère du département de l’Agriculture, de l’Élevage, de la Pêche et de l’Aquaculture.

Quelles sont vos missions au sein ce département ?
Mon rôle est de conseiller le président de la République en lui faisant des suggestions sur des dossiers bien précis qui nous sont présentés, que nous traitons, puis nous donnons notre avis. Nous avons aussi le travail de conception à faire, car c’est mon domaine de compétence. Je ne remplace pas un homme, mais j’apporte ma compétence parce que l’homme qui était là a été appelé à un autre poste. Moi, j’arrive pour faire un travail, car mon cerveau est égal à celui d’un homme. On ne voit pas le conseiller en tant que femme, mais en tant qu’Homme, avec un grand H. L’égalité, c’est dans nos têtes.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la femme congolaise dans son combat vers l’émancipation ?
La femme congolaise n’est pas complexée vis-à-vis des autres femmes d’autres pays. Je rends hommage à Mme Céline Eckomband, qui avait donné le ton à son temps. Quand je regarde la présence de la première dame aux multiples réunions internationales, cela me fait dire que la Congolaise a un pied en avant. Certes, on peut déplorer qu’une fois arrivée à l’université, on trouve moins de filles qu’à l’école primaire et secondaire. La femme congolaise est présente, mais elle attend d’être mieux prise en compte dans la société, car il reste un travail à faire pour que l’on trouve le juste milieu dans toutes les institutions.

Comment concilier vous votre rôle de mère et épouse et de femme travailleuse ?
En tant qu’épouse, le grand frein c’est le mariage, et le travail pour les femmes demande qu’il y ait une complicité avec le conjoint. Ce dernier doit accepter que son épouse s’épanouisse dans le travail. Personnellement, j’ai eu la chance d’être accompagné par une personne qui me laisse travailler. Cela fait sept ans que je roule ma bosse à Brazzaville, et mon époux est à Pointe-Noire. Et déjà avant cela, durant ma thèse, j’étais obligée d’effectuer des voyages au pays chaque année durant quatre ans, et mon époux avait accepté de me laisser partir pour mes recherches. À mon niveau, ce n’est pas un souci. Un homme qui ne veut pas que sa femme travaille ne l’aime pas, ni ses enfants. Les charges sont partagées lorsque les deux travaillent. C’est un problème de confiance qu’il faut gérer dès le départ et non du jour au lendemain. Vous pouvez être disponible pour lui, mais si le mari décide d’aller voir ailleurs, il le fera sans autre forme de procès.

Quel message portez-vous à la femme ?
La femme doit savoir ce qu’elle veut, pour elle-même et pour la société ensuite. La contribution de la femme, c’est dans le travail quel que soit l’endroit où elle se trouve. Et pas seulement pour celles qui ont été sur les bancs de l’école. Celles qui se retrouvent dans le monde rural ont toute leur place, leur travail mérite beaucoup de respect, de considération. Elles doivent être valorisées. Pour cela, la société doit mettre à leur disposition des moyens pour qu’elles ne se sous-estiment pas. Il y a un grand débat sur la femme au foyer, mais elle travaille en s’occupant de sa petite famille. La femme dans n’importe quelle catégorie sociale devrait être compétitive dans le travail.

Propos recueillis par Nancy-France Loutoumba

Légendes et crédits photo : 

Photo : Irène Mboukou-Kimbatsa, conseillère du président de la République du Congo chargée de l’Agriculture, de l’Élevage, de la Pêche et de l’Aquaculture. (© DR)