Kombé : les casseuses de pierres trouvent une filière économique

Mercredi 12 Mars 2014 - 12:18

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Dans le sud de Brazzaville, dans la carrière de Kombé, les femmes qui concassent la pierre sortent peu à peu de leur isolement. Organisées en coopérative grâce à l’appui de l’État, elles espèrent trouver bientôt une filière économique pour écouler leurs produits

Foulard sur la tête, vêtues d’un pantalon et de chaussettes, elles travaillent dans la carrière de Kombé, à environ dix-sept kilomètres au sud de Brazzaville, depuis bientôt deux décennies pour certaines. Dans ce site où le bruit des marteaux se mêle au vacarme des camions chargeant la pierre, ces femmes rivalisent avec les hommes bien qu’elles n’en aient certainement pas les capacités physiques. Au fil des années pourtant, à force de taper le fer sur la pierre, elles ont décuplé leurs forces au point de produire parfois le même cubage que certains casseurs.

Pour se nourrir et sauver leur petite famille, elles ont accepté ce dur labeur. Célibataire, veuve ou de famille en situation précaire, chacune évoque une raison particulière l’ayant amenée à exercer ce métier. Au début, c’est difficile, avouent-elles. Elles révèlent avoir laissé de côté tout complexe pour vivre de ce métier a priori réservé aux hommes. Mains rugueuses, corpulence adaptée à la tâche, elles se moquent des conséquences sur leur physique. « Nous ne comptons pas sur les hommes pour vivre. La plupart ici nourrissent leurs enfants seules. Les jeunes filles qui nous rejoignent dans ce travail ont traversé des difficultés énormes. Elles savent ce que c’est que de vivre sans travail et sans argent », soutient Marguerite Nguembo, la cinquantaine révolue, casseuse de pierre depuis dix-sept ans.

Un travail difficile et risqué pour un revenu dérisoire

Arrondir les fins de mois, c’est l’objectif. Le gain mensuel varie selon les saisons, mais le but est de réussir à réunir quelques mètres cubes de pierre chaque semaine. Pendant les saisons sèches, le travail est plus aisé car la pierre se casse sur le lit du fleuve : nul besoin de déplacer les tas de moellons et d’affronter les fantaisies des propriétaires fonciers qui exigent une taxe de 1000 FCFA pour déposer la pierre sur leur terrain.

Entre moellon, caillasse et graviers, les femmes préfèrent la dernière forme. La plupart du temps, elles attendent que les rochers soient dynamités pour se procurer à vil prix les grosses pierres qu’elles finissent par transformer en gravier au bout de cinq à huit jours pour environ deux à trois mètres cubes. Ce qui représente entre 15 000 à 25 000 FCFA la semaine après la vente, mais les dépenses liées aux maladies causées par ce travail ne sont pas négligeables.

C’est sous un soleil ardent, en effet, qu’elles frappent à la main sur la pierre, sans casquette et sans lunettes de protection, au risque de se blesser les yeux avec les éclats projetés sous le choc des marteaux. Sans abri, elles n’ont pas d’autres solutions que de garder leurs enfants avec elles, en plein soleil, sur le dos ou sous des abris de fortune faits de feuillages et d’habits accrochés sur les branches des arbres. « C’est dur, mais je n’ai pas de choix pour mon fils. Il est habitué maintenant », explique une jeune casseuse, mère d’un petit garçon de trois ans.

L’espoir avec la naissance d’une filière de construction de bâtiments

Au regard des énormes difficultés, nombre d’entre elles projettent de mettre fin à ce travail. Mais le problème est la réinsertion. Que faire après cinq à quinze ans passés dans la carrière et avoir appris ce métier ? En 2010, lors d’une descente à la carrière de Kombé de la ministre des Affaires sociales, plusieurs doléances avaient été formulées par les casseuses. Elles évoquaient le manque de matériel de travail adéquat, l’exposition aux intempéries et aux risques multiples d’accidents corporels qui mettent en danger leur santé et leur intégrité physique ainsi que le manque d’eau potable.

Sensible à leurs conditions de vie et désireuse d’aider ces femmes, la ministre des Affaires sociales, Émilienne Raoul, à travers le Projet d’appui à la réinsertion socioéconomique des groupes défavorisés (Parsegd), avait saisi l’importance de leur apporter son appui. « Nous avons trouvé ici à Kombé près de deux cents femmes qui peuvent fournir le gravier et la pierre nécessaires aux activités de pavage des rues dans certains quartiers de la ville. Nous allons donc signer un partenariat avec elles pour les aider à écouler leurs produits, mais surtout les aider à s’organiser pour qu’elles se constituent en très petites Entreprises. Ces femmes entrent dans la filière de construction de bâtiments. », avait déclaré Émilienne Raoul.

Environ deux femmes âgées de 20 à 60 ans ont été identifiées par l’unité de coordination du Parsegd. À ce jour, une série d’actions ont été réalisées par le projet. La formation des bénéficiaires a abouti à la création de coopératives. Cette initiative a aidé à la construction d’infrastructures telles que la halte-garderie, à l’aménagement de la source d’eau, l’acquisition d’équipements et outils de travail : deux mini concasseurs, des tamis vibreurs, des brouettes, des tenues, des cache-nez et des gants ont été mis à leur disposition.

« L’appui vise la réduction de la pénibilité du travail. Il se justifie par le fait que ces femmes produisant la pierre interviennent dans la filière de production de pavés de roche, nécessaires au pavage de certaines voies de la ville de Brazzaville », explique Constant Kiakouama, responsable de l’unité de coordination du Parsegd, placé sous la tutelle du ministère des Affaires sociales.

Dans la même optique, une convention a été signée avec le Forum des jeunes entreprises du Congo afin d’assurer, entre autres, la structuration et la formalisation des coopératives et du groupement d’intérêt économique (GIE), la formation des acteurs à l’utilisation des engins, le suivi et l’accompagnement des activités du GIE. Le GIE, à en croire le Parsegd, va permettre aux coopératives de faciliter, de développer ou d’accroître les résultats de cette activité.

Cependant, avec la fin annoncée du financement du Parsegd, le soutien à ces femmes qui espèrent entrer dans la vie économique sera-t-il pérenne ? Si à Kombé, les casseuses de pierre trouvent peu à peu une issue de sortie, celles de la carrière de Mafouta, certainement moins nombreuses, croupissent encore dans la misère. Bien qu’une aide soit envisagée pour elles, le véritable problème à régler à Mafouta est la carrière elle-même, soulignent les habitants. Car les populations de cette petite île de Tsioudi, qui abrite la carrière proche du fleuve Congo, souffrent du mauvais état de la route détruite par les gros camions. Elles ont également peur des érosions liées à la destruction des pierres qui soutiennent les abords des terrains riverains.

Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Une femme transformant des caillasses en graviers (© Jean Euloge Samba). Photo 2 : Début de la casse d'un tas de moellon (© Jean Euloge Samba). Photo 3 : Initiation à l’utilisation du mini concasseur au siège du PARSEGD (© PARSEGD).