Le Feuilleton de Brazzaville. Acte 29. Bois-Rouge et Kangonia

Vendredi 31 Janvier 2020 - 14:15

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Il fallait être quelqu’un de « branché », on disait « qui voit clair » ; un « bill » ou un « yankee », pour faire partie du groupe de danse Kangonia. Il le fallait aussi pour être sociétaire de Bois-Rouge, deux ensembles juvéniles en équilibre d’adversité dans les années 1970-1980 à Ouenzé et Talangaï, les cinquième et sixième arrondissements de Brazzaville.

Mais tout cela appartient au passé désormais. De nos jours, on assiste de moins en moins à ces scènes d’enfer où pour s’en prendre à un adversaire dans un bistrot, son vis-à-vis brisait une bouteille de bière puis utilisait le tesson comme arme blanche. Louami, Karagandza, Kibéliba, Condorde, Sangami, etc., sont de ces lieux de vie de Brazzaville où des « yankees » libéraient chaque jour leur part de folie au grand dam des tenanciers. Ce n’était pas qu’une histoire de garçons, car des filles de la même veine n’hésitaient pas, elles aussi, à déclencher la bagarre.

Pour autant, la menace liée aux attroupements délictueux n’a pas disparu. Brazzaville en fournit elle-même le prétexte. Les veillées funéraires, par exemple, sont des endroits potentiellement captivants pour des jeunes gens, filles comme garçons, qui s’y agglutinent le soir sablant bouteille de bière sur bouteille de bière. Un incident est vite parti lorsqu’à tort ou à raison un parent du défunt est soupçonné d’être à l’origine de son décès.

Brazzaville fait encore mieux pour ses habitants serait-on tenté de dire : chaque fois qu’une veillée mortuaire est déclarée, la famille érige pour la circonstance un chapiteau. S’il n’y a pas d’espace chez elle, la tente est montée sur la rue voisine, pour y rester deux ou trois semaines durant lesquelles l’assistance nombreuse a rendez-vous. Le poète l’avait chanté.

Le jour des obsèques, les véhicules disposés pour la cause sont pris d’assaut par des inconnus. On les trouve perchés sur le toit, accrochés sur les portières livrant leurs sous-vêtements aux regards ébahis. Il arrive que la police intervienne pour mettre de l’ordre. La portée de l’action de la force publique est souvent limitée dans le temps, alors que les habitudes, elles, s’enracinent.   

Ce qui précède n’enlève en rien aux comptoirs de la capitale congolaise leur caractère irrésistible. Ils ne sont pas seulement des lieux de détente ou d’évasion, ils sont aussi des lieux d’affaires.

Jean Ayiya

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