Lutte antipaludique en Afrique : entre espoirs technologiques et fragilités structurelles

Mardi 3 Juin 2025 - 21:58

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Parmi les grandes causes sanitaires du XXIe siècle, la lutte contre le paludisme en Afrique s’impose comme un combat aussi vital que complexe.

Si les chiffres traduisent une progression indéniable - 13 millions de vies sauvées et deux milliards d’infections évitées en vingt-cinq ans - , cette réussite reste fragile. Le paludisme demeure la première cause de mortalité dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, et le continent concentre à lui seul 95 % des cas mondiaux. Alors que des innovations porteuses d’espoir voient le jour, plusieurs obstacles majeurs menacent la durabilité des progrès accomplis.

Des avancées scientifiques sans précédent

L’optimisme repose d’abord sur une dynamique scientifique sans précédent. La généralisation des moustiquaires imprégnées de double insecticide, l’introduction progressive de nouveaux vaccins antipaludiques comme le RTS,S (Mosquirix) et les efforts continus en matière de diagnostic rapide et de traitements combinés à base d’artémisinine illustrent une offensive technologique bien engagée. Les nouvelles approches intègrent également l’intelligence artificielle pour la cartographie des zones à risque, ou encore la génétique dans la lutte contre la reproduction des moustiques. Le paludisme n’est plus seulement combattu avec des outils traditionnels, mais avec l’appui de la science de pointe.

Résistances croissantes : une menace sous-estimée

Toutefois, ces progrès sont freinés par un phénomène préoccupant : la montée en puissance des résistances. D’une part, les moustiques adaptent leur comportement et deviennent de plus en plus résistants aux insecticides utilisés depuis les années 2000. D’autre part, le parasite Plasmodium falciparum montre une résistance croissante à certains traitements, notamment en Afrique de l’Est. Ces mutations biologiques obligent les chercheurs et les autorités sanitaires à réviser constamment leurs stratégies, dans une course contre la montre où les moyens ne suivent pas toujours. L’innovation seule ne suffira pas si elle n’est pas soutenue par des systèmes de santé robustes et bien financés.

Le financement, talon d’Achille de la lutte antipaludique

Le véritable point de fragilité est financier. Le recul de l’aide internationale, notamment après le gel de l’USAID imposé par l’administration Trump, a provoqué une onde de choc sur le terrain. Le Sahel, région déjà instable, en paie le prix fort : retards dans la distribution de moustiquaires, pénuries de médicaments, campagnes de sensibilisation avortées. Selon le Malaria Atlas Project, une seule année de gel complet du financement américain pourrait entraîner 15 millions de cas supplémentaires et plus de 100 000 décès. Il ne s’agit donc pas seulement d’un enjeu de solidarité, mais de vie ou de mort à grande échelle. Cette dépendance excessive à l’aide étrangère met également en lumière une faiblesse structurelle : l’absence de souveraineté sanitaire dans de nombreux pays africains. Tant que les stratégies nationales de lutte dépendront des décisions politiques prises à Washington, Bruxelles ou Londres, leur efficacité restera vulnérable.

Quel avenir pour l’Afrique face au paludisme ?

Malgré les défis, des leviers existent. La lutte antipaludique ne peut réussir sans l’intégration totale des systèmes de santé locaux, encore trop souvent négligés. L’amélioration de l’accès aux soins dans les zones rurales, la formation du personnel médical, et l’ancrage communautaire des politiques de prévention sont des conditions essentielles pour pérenniser les acquis. L’Afrique a aussi besoin d’un agenda de recherche propre, piloté par ses universités, ses centres scientifiques et ses gouvernements. Des institutions comme l’Institut de recherche en santé de l’Afrique de l’Ouest au Burkina Faso montrent qu’il est possible de produire de la science de qualité sur le continent, mais ces structures doivent être mieux financées et valorisées. Enfin, la sensibilisation des populations reste un pilier de la lutte. Le paludisme n’est pas seulement une affaire de moustiques et de vaccins, mais aussi de comportements, d’éducation sanitaire, et de confiance envers les services publics.

Noël Ndong

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