Migrants : l’UE doit opérer un changement stratégique

Mardi 3 Octobre 2023 - 18:45

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En entérinant et finançant le mémorandum avec la Tunisie dans sa version actuelle, l’Europe partage la responsabilité de la souffrance des réfugiés et des demandeurs d’asile.

Dans un monde où des puissances émergentes qualifiées de « concurrents stratégiques et rivaux systémiques » comme la Chine et la Russie font de plus en plus sentir leur présence en Afrique et au-delà, l’Europe s’interroge sur la manière dont elle peut continuer à exercer son influence. Les politiques traditionnelles qui conditionnaient l’aide de l’Union européenne aux pays en développement à des réformes en matière de démocratie et de droits de l’homme semblent avoir perdu de leur attrait, car des acteurs tels que la Chine sont intervenus pour fournir des investissements et de l’aide sans conditions politiques. Les turbulences politiques dans plusieurs pays du Sahel sont autant de rappels que l’UE doit changer de braquet et cesser de miser et d’entretenir des relations privilégiées avec des régimes dictatoriaux et corrompus. Dans ce contexte, l’UE, sous l’impulsion de certains États membres comme l’Italie a adopté une nouvelle stratégie qui consiste à distribuer de l’argent à des régimes autoritaires en échange de services. Ainsi, poussés par la crainte des migrations en provenance d’Afrique, la présidente (en fin de mandat) de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, Georgia Meloni et le Premier ministre néerlandais (démissionnaire) Mark Rutte, « Team Europe »,  se sont rendus en Tunisie en juin et juillet pour signer avec le président tunisien Kaïs Saïed, une assistance économique détachée des réformes politiques et de gouvernance, et en dehors du cadre de l’accord d’Association. Ce nouvel accord ad hoc avec la Tunisie prévoit une rente de plus d’un milliard d’euros en échange d’efforts, visant à juguler les mouvements migratoires et faire le « sale boulot » localement.

Si la Chine est géographiquement beaucoup moins touchée par l’instabilité politique des pays africains, qui éclate invariablement, lorsque les droits sont bafoués et que la répression débouche sur des protestations, pour l’Europe, renoncer aux droits, aux règles et à la loi dans son voisinage sud n’est pas seulement sans principes ou immoral, c’est clairement contre-productif. Lors du dernier sommet de l’UE à Bruxelles, avant la pause estivale, les dirigeants européens ont approuvé les grandes lignes d’un accord migratoire avec le président Saïed et se sont déclarés favorables à ce qu’il serve de modèle pour des accords similaires avec les pays voisins. L’Égypte et le Maroc devraient être les prochains pays sur la liste de la Commission, et un projet d’accord avec le gouvernement du président Abdel Fattah el Sissi est attendu avant la fin de l’année.  Ce type d’accord opaque et controversé, entre la Commission européenne et la Tunisie marque une nouvelle étape dans les relations EuroMed et met en lumière une Europe marquée par une panique anticipatrice. La politique étrangère de l’UE est piégée par l’écart croissant entre la rhétorique noble de la Commission européenne et la realpolitik pratiquée par l’Italie et d’autres états membres populistes.

Georgia Meloni est devenu le porte-drapeau d’une approche brutale orientée vers la limitation coûte que coûte de l’immigration en provenance d’Afrique. Elle s’est rendue trois fois en Tunisie pour y négocier et conclure un pacte, échangeant des fonds d’aide contre des efforts pour empêcher les migrants de faire la traversée.  Le 31 août, les parlementaires européens ont critiqué l’accord pour avoir ignoré les préoccupations, en matière de droits de l’homme en Tunisie, les déportations massives de sub-sahariens dans le désert libyen. Face à ces critiques, le négociateur européen, Gert Jan Koopman, a répondu : « Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur un gouvernement ». Pourtant, c’est une question de crédibilité fondamentale pour l’UE. En entérinant et finançant le mémorandum dans sa version actuelle, c’est-à-dire, sans dispositions explicites pour protéger les droits des migrants, l’UE partage la responsabilité de la souffrance de ces personnes, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Tunisie. Il est clair que ce mémorandum doit être revu et renégocié sur des bases humaines.

Noël Ndong

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