Patrice Neveu : « Je pense que les deux Congo sont capables de sortir des poules »

Jeudi 15 Janvier 2015 - 14:30

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Ancien sélectionneur de la Guinée, de la RDC et de la Mauritanie, Patrice Neveu a l’immense privilège de commenter le match d’ouverture de la CAN 2015. Le technicien français évoque cette compétition, qu’il a disputée en 2006 avec le Syli national de Guinée.

Les Dépêches de Brazzaville : Monsieur Neveu, le coup d’envoi de cette CAN 2015 approche et vous êtes directement concerné par ce match d’ouverture Guinée Équatoriale-Congo…

Patrice Neveu : Effectivement, j’assurerai les commentaires du match pour Canal plus. Pour lequel je suivrai d’autres rencontres durant la compétition.

LDB : Cette compétition, vous l’avez également connue comme entraîneur, en 2006, sur le banc de la Guinée. Comment gère-t-on les derniers jours qui précèdent le début du tournoi ?

P.N : La pression monte, c’est inéluctable. Le rôle du sélectionneur est de rendre cette pression positive. Il faut veiller à l’osmose du groupe, au mental. Sur le plan sportif, on transmet un maximum d’informations aux joueurs concernant leurs adversaires. C’est une période  très importante voire essentielle. Après, bien entendu, il y a la gestion des matchs, du quotidien. Mais la préparation conditionne la suite.

 LDB : Finalement, le mental prend le dessus sur le technique ?

P.N : Le technique reste important car les entraînements permettent bien sûr de rester en forme, mais surtout de maintenir la concurrence et l’émulsion au sein du groupe. Il y a aussi la gestion des remplaçants, qui doivent se sentir concernés même s’ils savent que leur temps de jeu sera limité. Cela fait donc beaucoup de paramètres à analyser.

LDB : Après votre passage en Guinée, vous avez exercé en RDC. Quel est votre point de vue sur le parcours de l’équipe?

P.N : Les Léopards se sont qualifiés par le biais de la meilleure troisième place, ce qui, au vue de leur groupe, équivaut à une deuxième place. Et l’équipe a livré des matchs de très haut niveau, notamment cette victoire à Abidjan.  C’est donc totalement mérité.

LDB : Que pensez-vous de ce groupe B, composé du Cap Vert, de la Zambie et de la Tunisie ?

P.N : Ce n’est pas un groupe facile, mais les Léopards ont les moyens de passer en quarts de finale. Florent Ibenge est parvenu à créer un groupe de qualité, en associant des cadres confirmés et des nouveaux prometteurs. Je pense que les deux Congo sont capables de sortir des poules.

LDB : Aviez-vous travaillé avec le coach Ibenge durant votre passage en RDC ?

P.N : Oui, il a été mon adjoint pendant quelques temps. Je voulais le conserver dans le staff, mais je n’avais pas réussi à obtenir de budget. Malgré cela, il nous rejoignait lors des rassemblements en France. C’est un bon technicien, qui connaît parfaitement tous les joueurs, qu’ils évoluent en Afrique ou en Europe. Sa réussite en sélection n’est pas un hasard, puisqu’elle est couplée de ses résultats avec V.Club.

LDB : Après avoir dirigé l’équipe sans contrat de travail durant les éliminatoires, le coach Ibenge vient d’être conforté dans ses fonctions avec un salaire conséquent, estimé à 18 000 dollars. Est-ce enfin le signe que les techniciens locaux sont mieux considérés ?

P.N : C’est un juste retour des choses pour Florent par rapport à son travail et à son parcours. C’est une rémunération en adéquation avec ses compétences. Florent a passé ses diplômes en France, nous étions dans la même promotion pour le DEF, puis s’est forgé son expérience dans plusieurs clubs. C’est donc logique. Après, je ne suis pas trop favorable au débat, en vogue actuellement, qui opposerait les entraîneurs locaux et les expatriés. Si les fédérations africaines sollicitent des techniciens français, pour ne parler que d’eux, c’est pour un savoir-faire reconnu et qui a souvent fait ses preuves.

LDB : En parlant d’entraîneur français, votre collègue Claude Le Roy va disputer, à la tête du Congo, sa huitième CAN. C’est le meilleur ambassadeur des techniciens français ?

P.N : Par son vécu, c’est l’un des porte-drapeaux de  l’école française en Afrique, effectivement. Il ne sera pas le seul à la CAN, avec Hervé Renard, un jeune sélectionneur qui a déjà gagné la CAN, Alain Giresse, qui confirme au Sénégal ce qu’il avait déjà très bien fait au Mali et au Gabon, Henryk Kasperczak , Christian Gourcuff, qui a bien réussi ses débuts en Afrique, Michel Dussuyer qui a su qualifier la Guinée en jouant tous ses matchs à l’extérieur à cause d’Ebola. Ce sont tout sauf des aventuriers, ce qui prouve que le débat qui oppose les entraîneurs locaux aux étrangers n’est pas constructif : seules les compétences doivent être prises en compte.

LDB : Avec l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Ghana et le Sénégal, le groupe C tient le rôle de « groupe de la mort »…

P.N : Oui, c’est du très, très haut niveau et quoiqu’il arrive, des prétendants à la victoire finale tomberont dès le premier tour. Après, comme on a coutume de le dire, quand on aspire à la médaille d’or, il faut pouvoir battre tout le monde. Je pense que le Sénégal a des sérieux arguments et l’Algérie est bien armée.

LDB : Mputu, Eto’o, Drogba, Essien : de nombreuses stars des dernières années seront absentes en Guinée Équatoriale. Selon vous, quels joueurs peuvent reprendre le flambeau ?

P.N : Seydou Keita et Yaya Touré, des exemples de longévité et de régularité, sont encore là. Après, il y a beaucoup de joueurs, qui ne sont pas forcément dans les plus grands clubs européens, qui prouvent en sélection que le talent et la technique ne manquent pas. Que ce soit au Sénégal, au Ghana ou en Algérie, mais aussi dans les deux Congo, avec l’émergence des Bifouma, Kebano ou Bolasie.

LDB : Globalement, que vous inspire ce plateau CAN 2015 ?

P.N : Il n’y a pas vraiment de petites équipes, même si le Congo revient après une longue absence et que la Guinée Équatoriale a été repêchée. Je pense que l’on va assister à une CAN de qualité. Il y a logiquement des favoris, mais nous ne sommes pas à l’abri de surprises puisque les « grosses écuries » du groupe C et D vont s’affronter en phase de groupes. Ensuite, lors des matchs à élimination directe, tout est possible, comme l’a prouvé la Zambie en 2012.

LDB : Un petit mot sur la Guinée Équatoriale, repêchée après avoir été éliminée pour fraude sportive contre vous, en juillet dernier ?

P.N : Il fallait sauver la CAN, coûte que coûte, et la Guinée Équatoriale a offert cette solution à la CAF. On va dire que l’essentiel est fait, puisque la compétition aura lieu. Mais le défi était énorme pour le pays qui n’avait que deux mois pour être prêt. Les inquiétudes sont nombreuses et justifiées concernant les sites de Mongomo et Ebebiying. Chaque coach souhaite les meilleures conditions possibles, car il joue son poste à chaque match, mais ça ne sera pas le cas, que ce soit en termes de logement ou d’entraînement. Il y aura forcément des difficultés, mais il faudra que chacun essaye d’être compréhensif.

LDB : À titre personnel,  votre collaboration avec la Mauritanie s’est arrêtée en août dernier. Que s’est i l passé ?

P.N : En Mauritanie, je pense pouvoir dire que j’ai fait du bon boulot avec les locaux pour construire une équipe A qui était inexistante sur la carte continentale. Malheureusement, les ambitions des dirigeants ont grandi plus vite que la logique sportive qui voudrait qu’on avance étape par étape. Je ne m’attendais pas à ce que cela s’arrête comme ça, après notre élimination au second tour préliminaire des éliminatoires. Mais il n’en demeure pas moins que j’ai vécu une aventure humaine et sportive inoubliable avec une qualification historique pour le Chan 2014. Désormais, je suis un entraineur libre, en attente d’un défi.

LDB : Pour finir, du tac-au-tac, le nom du vainqueur ?

P.N : Les entraîneurs sont souvent de piètres pronostiqueurs et je n’échappe pas à la règle. Je voudrais juste souhaiter bonne chance à tous mes collègues, car la CAN est une belle compétition, mais elle requiert d’être costaud.

Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Patrice Neveu/ Photo ADIAC