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Emploi des jeunes ou le défi du chômage de masse au Congo

Mercredi 15 Juillet 2015 - 15:00

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Depuis la libéralisation de l’éducation par la loi 25/95 du 17 novembre 1995 organisant le système éducatif congolais, abrogeant la loi de 1965 sur la nationalisation de l’enseignement, l’État a l’obligation d’exercer ses fonctions régaliennes de régulateur de la formation globale du citoyen, sans la contrainte d’assurer son employabilité ou son insertion sur le marché du travail tout au long de sa vie active.

Le Plan national pour l’emploi (PNE), initié par le Gouvernement en 2010, avec l’aide du BIT et du PNUD, vise à améliorer l’employabilité de la population en âge de travailler (2,7 millions sur 4,6 millions d’habitants), dont le taux de chômage est passé de 19,7% en 2010 à 16% en 2014.

Mais cette performance cache une forte précarité de l’emploi car 11% seulement des demandes d’emplois sont satisfaites dans la Fonction publique (principal employeur) contre 15% à l’ONEMO. Les emplois sont créés dans les secteurs contribuant faiblement à la richesse nationale (PIB) : 37,8% des emplois dans l’agriculture pour 5% du PIB, 34% dans le Commerce et les Services pour 23% du PIB, contre 0,9% dans les Mines pour plus de 78% du PIB. Le taux de sous-emploi de la population active est de 27,8%.

Cette précarité frappe surtout les jeunes de 15 à 29 ans (plus de 51% de la population active), touchés par un taux de chômage de 25% contre 16% pour l’ensemble de la population active. Ce taux dépasse les 42%, si l’on tenait compte des demandeurs d’emplois découragés. Il est trois fois plus élevé que celui des chômeurs de 30 à 49 ans et 4,6 fois plus important que celui des plus de 50 ans.

Deux causes essentielles expliquent ce phénomène :

1) la perte de la souveraineté de l’État dans l’éducation et l’insertion professionnelle des jeunes : les mesures d’austérité des Programmes d’ajustement structurel des années 80-90 (limitation des embauches dans la Fonction publique, réduction des effectifs et privatisation des entreprises d’État et autres), ont poussé l’État à se désengager progressivement de ses missions d’éducation et d’insertion de la jeunesse sur le marché du travail, à travers :

- l’abandon de la politique publique d’éducation de masse qui rendait la scolarisation obligatoire (jusqu’à16 ans) et gratuite dès l’âge de six ans. Le taux de scolarisation du Congo qui avoisinait les 114% avant la guerre civile de 1997 est tombé à 89,5% en 2014 ;

- la faible part réelle de la richesse nationale (PIB) affectée à l’Éducation, qui est  passée de 3,98 % en 1997 à 2,65% en 2000 pour atteindre 3,22% seulement en 2014. Dans ces dépenses, 63% sont affectés à l’enseignement primaire, 23% à l’enseignement secondaire et seulement 14% à l’enseigneur supérieur. Elles concernent la rémunération du personnel (84,9%), le paiement des bourses des étudiants (12,86%), et les dépenses d’investissement (2,24%) ;

- la forte croissance de l’enseignement privé au détriment de l’enseignement public qui sépare l’éducation des riches de l’éducation des pauvres. Le nombre des Lycées privés a été multiplié par 1,5 en 4 ans, en passant de 44 en 2006  à 65 en 2010, représentant presque la moitié des établissements publics qui n’ont été multipliés que par 1,3, en passant de 78 à 101 seulement ;

- la dégradation de la qualité de l’enseignement et des performances des apprenants qui s’observe dès le Baccalauréat, à travers des taux d’admission particulièrement bas : 42,1% en 2006 et 49,3% en 2009 pour tomber à moins de 38,5% depuis 2010. Dans l’enseignement supérieur privé, le taux d’admission aux examens s’élève à plus de 60%. Dans le cycle court, ce taux est même passé de 86,27% en 2005/2006 à 85,97% en 2009/2010 ; alors que dans le cycle long, ce taux est passé respectivement de 77,42% à 87,77%. L’effectif des enseignants a été multiplié par 1,5, en passant de 452 en 2005 à 712 en 2010. Celui des étudiants a été multiplié par 2,3 en passant de 2.777 à 6502.

Dans le public, le nombre des étudiants n’a été multiplié que par 1,32, en passant de 15.369 en 2005/2006 à 20.218 en 2009/2010, avec un taux de réussite moyen aux examens dépassant rarement les 60% par an. Dans le même temps, le nombre des enseignants n’a été multiplié que par 1,04, en  passant de 568 à 592. Plus de 40% de ces effectifs partent à la retraite à très court terme, sans que l’État ait formé et recruté à temps des nouveaux enseignants-chercheurs nécessaires ;

- la fuite des cerveaux, marquée par le très faible taux de retour des étudiants de la diaspora, qui amplifie la tension de l’allocation des ressources entre les structures publiques, notamment celles de l’enseignement ;

2) le désajustement des besoins du marché du travail par rapport à l’offre de formation. L’insertion professionnelle des jeunes à la fin du cycle de formation, ou en situation d’échec ou de décrochage scolaire, était assurée autrefois par la Direction de la planification scolaire du ministère de l’Éducation nationale qui coordonnait la relation entre les besoins du marché du travail et l’offre de formation nationale, à travers une gestion prévisionnelle des emplois et des formations. Ces attributions ont été diluées dans le passage de la fonction d’ « éducateur » de l’État à celle de « formateur », caractérisée par l’émiettement de l’Éducation nationale en quatre ministères distincts de plein exercice à vocation d’enseignement : Enseignement supérieur, Recherche scientifique, Enseignement technique et professionnel, Enseignement primaire et secondaire et alphabétisation. La difficile collaboration entre ces entités, engendre une faible coordination de l’offre de formation par rapport aux besoins du marché du travail, contribuant au blocage de l’accesseur social et excluant la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences du champ de l’employabilité.

Ainsi, le chômage de masse, l’une des maladies congénitales du libéralisme, est-il nourri au Congo par une politique d’éducation nationale faiblement responsable. Relevé ce défi, exige l’unification de l’Éducation nationale en une structure capable d’adapter les besoins en emplois de demain aux formations d’aujourd’hui, sans sacrifier l’employabilité de la population active actuelle.

 

 

 

 

Par Emmanuel Okamba, Maître de Conférences HDR en Sciences de Ge

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Édition Quotidienne (DB)

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