Opinion

  • Tribune libre

La tradition des funérailles royales en pays Téké

Mardi 27 Juillet 2021 - 8:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel


Le mardi 8 juin, une nuit noire tombe sur Mbé. Le feu qui éclaire et réchauffe le palais royal depuis 17 ans s’est éteint. Ounko NGUEMPIO a yini soit, le roi s’en est allé. C’est en effet par cet aphorisme que les Téké qui ont peur de prononcer le mot mort, lipfou, l’évènement cruel qui leur enlève des êtres chers, annoncent les décès des membres de leur aristocratie.

Ounko meurt au palais, reclus depuis son agonie derrière lououn, un rideau fait de pagne de raphia, de drill rouge et de couverture en laine rouge frappée de dessins de fauves. La triste nouvelle est gardée secrète pendant quelques jours, une courte période affectée à la toilette funéraire pour tout dire au dépouillement du corps du roi défunt. Il s’agit de retirer les divers éléments rituels qui ont accompagné son règne. On lui enlève ainsi sa qualité d’être, sa potentialité et son caractère sacrés. Ce bain purificateur est fait d’une mixture d’huile et d’ocre qu’accompagnent certains autres ingrédients qui vont favoriser la conservation du corps pendant au moins une quarantaine de jours. C’est l’embaumement, étape importante dans la période qui s’ouvre et dont seuls ceux qui le pratiquent connaissent le vrai secret des tenants et des aboutissants.

La mort du roi est portée à la connaissance du grand public par des messagers de la Cour. Ils se déploient à travers toute la contrée en se relayant, leurs têtes coiffées de carrés de raphia et les poignets ceints d’une bande de tissu rouge. A l’entrée de chaque village, ils sonnent du gong unique, ba et crient tout haut, Mba i dzioun, soit le feu est éteint, en allusion au feu sacré allumé dans le couvent-fétiche le jour de l’intronisation. Comme une traînée de poudre, l’annonce funèbre a parcouru en quelques heures toute l’étendue du royaume. Partout, femmes et hommes se lamentent et crient à rompre les cordes vocales. Les sujets, enfants et adultes de tous les sexes sont invités à attacher à leur avant-bras, lississon, liane odoriférante qui protège contre les influx maléfiques qui se propagent dans l’air. Seule l’odeur que dégage sa tige verte et celle de ses bulbes mâchés que l’on répand en crachats dans l’air savent les monopoliser, les capter et les orienter. Toutes les activités profanes sont suspendues pendant une neuvaine.

On ne pleure pas Ounko à haute voix. La foule éplorée frappe simplement dans les mains en cadence, ou pfoula an pfou. Les hauts dignitaires du royaume sont tous présents, au rendez-vous de la mort du représentant temporel sur terre du Nkoué-Mbali, le grand esprit communautaire. A la tête de fortes délégations, ces notabilités veilleront sur le déroulement des funérailles, rivalisant à longueur de journée d’inventivité et de mysticisme à l’occasion des danses des ancêtres destinées à l’exhortation des esprits, Ou gnanan i boolo, les parades magiques qui servent aussi à exorciser les peurs.

Le lendemain de l’annonce publique, Le corps est emballé dans des feuilles de bananier, des nattes et des pagnes de raphia. Le cylindre obtenu, véritable œuvre d’art va reposer à proximité d’un feu de bois où sont brûlées des plantes odoriférantes. Pendant une période pouvant aller de un à six mois voire un an qui ouvre à vrai dire les consultations des divers clans pour la succession, il restera hors de la vue du grand public, à la garde des épouses royales, des enfants et autres parents proches qui, matin et soir, les torses enduits de cendre et des fibres de jeunes feuilles de palme, ndion, ceinturant les hanches, danseront autour, ou yaala, accompagnés par les griots qui psalmodient les vertus de leurs différents lignages. Mêlées à la cacophonie des clochettes, des sifflements de cornes, des chants divers et autres hurlements stridents, toutes ces animations préparent le voyage du mort pour a loua, la terre de l’abondance et de la générosité où il sera accueilli par les bons esprits qui l’y ont précédé.

Ce n’est que la veille du jour de l’enterrement que le cadavre, ibion est sorti et exposé dans la cour du palais. Il est entièrement habillé de peau de fauves, de carré de raphia, de tissus et couvertures rouges. Le tout est ensuite surmonté du catafalque, armature polygonale faite de branchages et recouverte de peaux des fauves et de tissu rouge, nzouo a nsuèlè. La sortie du corps donne lieu à un véritable carnaval. Puis, vient l’ultime grande nuit de la fête de la mort qui précèdera la promenade matinale à travers le village avant de rejoindre la fosse où doit reposer le corps.

Les sépultures royales sont ordinairement établies dans les villages de résidence des rois défunts, à l’écart des tombes du reste de la population. On rencontre ainsi les tombes de rois à Mbè, à Nko, à Intièlè et aussi à Ngabè et dans tant d’autres endroits sacrés du domaine royal.

Ounko NGUEMPIO sera conduit dans sa dernière demeure le 31 juillet 2021 à Mbé. Devrait alors s’ouvrir la période d’une succession que tous aimeraient voir intervenir dans la stricte loyauté à la tradition royale, c’est-àdire dans des délais raisonnables et en bon ordre dans le cadre strict des six clans d’origine à l’intérieur des lignées éligibles au trône, le tout pour éloigner de nous le ridicule des querelles internes dont les bruits parviennent déjà, certes lointains aux oreilles des sujets. Ces difficultés, si elles existent vraiment, loin de donner lieu à des divisions devront dans notre monde de paix et de tranquillité, constituer les enjeux et les défis pour le pouvoir royal en train de se constituer.

Ainsi, de ce lieu où le feu s’est éteint, qu’une nouvelle flamme s’allume et élève loin dans le ciel ses volutes de fumée blanche pour dire au grand bonheur de tous : Le roi est mort, vive le roi.

Que Nkoué-Mbali nous protège de tout égarement sur le chemin si triste des adieux à Ounko NGUEMPIO.

 

EBIATSA Hopiel, historien et écrivain, auteur de :

- La Monarchie de droit ancestral téké- Sacralité et Autorité, Paris, L’Harmattan, 2012.

- Des chutes de Nkoué-Mbali aux rives du fleuve Congo. Définition géographique et historique du domaine royal de Mbé, Paris, Edilivre, 2015.

- OUNKO, Roi et Pontifex Téké, Paris, Edilivre, 2020.

Ebiatsa Hopiel

Légendes et crédits photo : 

Ounko NGUEMPIO (DR)

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Notification: 

Non

Tribune libre : les derniers articles