Interview. Guido Gryseels : « La réouverture du Musée a suscité un débat sociétal sur le passé colonial »

Jeudi 5 Décembre 2019 - 12:15

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Espace culturel le plus fréquenté de Belgique, l’AfricaMuseum accueille en moyenne sept mille visiteurs la semaine. Cette affluence n’est pas le principal motif de fierté de son directeur général. En effet, dans cette interview exclusive accordée au Courrier de Kinshasa à une semaine de l’an un de sa réouverture, le 8 décembre 2018, il dit tout son bonheur de constater que ce lieu rénové joue désormais un rôle pivot dans les discussions sociétales.

Guido Gryseels, Directeur général du MRAC (© Frank Abbeloos)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Depuis sa réouverture, le Musée  attire-t-il vraiment du monde ?

Guido Gryseels (G.G.) : La réouverture a été un grand succès. Cette première année, nous avons eu plus de trois cent cinquante mille visiteurs, plus de quatre mille deux cents visites guidées par notre équipe de guides, plus huit cents effectuées par la direction elle-même et les chefs de service. Donc, nous parlons de plus de cinq mille visites guidées sur une période d’une année, c’est quand même incroyable ! C’est une moyenne de six visites guidées par jour et je pense que nous avons une moyenne de plus de sept mille visiteurs par semaine. Pour le moment, l’AfricaMuseum est le musée le plus fréquenté en Belgique. Je pense qu’il le sera encore même si le grand succès de la première année ne dure pas. Par ailleurs, ce qui m’a le plus fait plaisir, ce n’est pas tant le nombre de visiteurs et des visites guidées ou que notre public se soit montré très enthousiaste ; c’est plutôt le fait que quelques mois déjà avant la réouverture, la Belgique se soit vraiment posée des questions fondamentales sur notre rôle dans le passé colonial : avons-nous été aussi corrects qu’on le prétend toujours ? Beaucoup de débats ont été suscités dans la société sur les problématiques touchant au passé colonial : l’Etat indépendant du Congo et ses violences, la période controversée de l’indépendance, les problèmes de racisme qui existent encore aujourd’hui, etc. Tout cela s’est produit à l’occasion de la réouverture de notre musée. Dans ce débat, il est aussi question des relations de la Belgique avec l’Afrique centrale, des problématiques comme celle de la restitution et la réappropriation des collections. Donc, c’est surtout le fait que nous ayons joué un rôle pivot dans ces discussions qui m’a rendu très fier.   

L.C.K. : En tant qu’initiateur de la rénovation du Musée de Tervuren, êtes-vous satisfait des résultats à quelques jours de son premier anniversaire  ?

G.G. : Oui ! Je suis très content. Nous avons amorcé un processus, comme je le disais, nous avons reçu trois cent cinquante mille visiteurs, organisé près de cinq mille visites guidées, observé un grand enthousiasme dans la presse avec huit cents journalistes qui ont parlé du Musée. Il est mieux connu car il n’y a pas eu un seul pays où un reportage n’en a pas fait mention dans les journaux ou télévisions. Grâce à la réouverture du Musée, un débat sociétal a été suscité sur le passé colonial ainsi que beaucoup d’autres discussions, j’en suis très fier. Tout n’a pas été parfait, nous avons connu des problèmes techniques, certaines salles du musée ne sont pas encore assez éclairées. Certaines gens estiment que nous n’allons pas assez loin, d’autres qui pensent au contraire que nous allons déjà trop loin. Nous cherchons tous les jours à améliorer la qualité de nos communications mais, en général, je suis très content. Et, du côté de notre collaboration avec la diaspora africaine, cette semaine nous avons eu un théâtre créé à Goma sur les enfants-soldats, ce week-end nous aurons des activités sur la Saint-Nicolas. Je suis très fier et satisfait que le musée se présente bien, c’est un très grand succès. Nous avons de meilleurs transports en commun vers Bruxelles avec le tram et un meilleur système de parking. Nous avons de nouvelles infrastructures nettement meilleures avec un beau restaurant, un beau shop et de belles salles de réunion. Je suis un homme très heureux.    

L.C.K. : Avec cette forte affluence depuis sa réouverture, le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) doit générer du profit...

G.G. : En effet, cela a généré de l’argent. Nous avons un budget en équilibre cette année mais il ne faut pas oublier que nous effectuons aussi beaucoup de dépenses, notamment pour le gardiennage, le nettoyage et l’équipe éducative. Par ailleurs, n’oublions pas que nos tarifs sont très sociaux : les enfants de moins de 18 ans ne payent pas, beaucoup de visiteurs sont soumis à un tarif spécial, ils payent quatre ou huit euros pour une visite. Les revenus ne sont pas énormes en comparaison de toutes les informations fournies et les très riches collections que l’on peut visiter dans notre musée. Visite guidée de Martin Fayulu assurée par les directeurs et un chef de service (© Papy Ibula)

L.C.K. : À quelle hauteur peuvent s’évaluer les frais de fonctionnement généraux du MRAC ?

G.G. : Les frais généraux du musée dépendent de ce que l’on veut comptabiliser. Il y a des personnes qui sont multitâches et ont des salaires en fonction de cela. La gestion des collections n’est pas uniquement assurée par nous, nous faisons aussi des prêts à d’autres musées. De manière générale, les frais de fonctionnement se chiffrent à environ quatre millions d’euros par an.

L.C.K. : Quel est l’apport des entrées réalisées par les prêts d’œuvres de vos collections dans l’ensemble des rentrées de l'argent du musée de Tervuren  ?

G.G. : Très peu. Le prêt d’œuvres rapporte en moyenne dix mille euros par an alors que le coût de conservation des œuvres se chiffre au minimum à un demi-million par an. Nous avons beaucoup de conservateurs, un personnel important qui organise la conservation des collections et le programme de restauration. Du reste, la plupart de nos prêts d’œuvres sont gratuits. Nous avons des accords entre institutions sœurs en Europe de ne pas soumettre aux uns et autres des charges pour les prêts des collections. Ils sont quasi gratuits et quand il faut payer, il s’agit d’un tarif spécial de partenariat, nous travaillons en partenaires. Nous ne prêtons pas d’œuvres à un coût élevé. Nous n’avons pas d’œuvres d’art contemporain, qui s’évaluent souvent à des dizaines de millions d’euros, pour lesquelles nous pourrions en demander autant. Déjà, l’intérêt potentiel pour nos collections est bien moindre qu’une exposition d’art moderne comme celle de Magritte. Quand un musée organise une exposition sur le patrimoine culturel de l’Afrique, c’est un grand succès s’il peut attirer dix mille visiteurs tandis que les grandes expositions sur les grands peintres contemporains en attirent des centaines de milliers au Magritte, par exemple. Le retour des expositions sur le patrimoine africain est bien moindre que celui de certaines œuvres comme les Magritte, Rembrandt et les grands peintres des XVe et XVIe siècles.

L.C.K. : Qu’en est-il de la collaboration actuelle du Musée de Tervuren avec le nouveau Musée de Kinshasa ?

G.G. : Nous n’en avons pas encore car les Coréens qui l’ont construit y sont encore. Mais nous travaillons en proche collaboration avec l’Institut des musées nationaux du Congo. Nous soutenons le Musée de Lubumbashi dans ses activités éducatives. À Kinshasa, nous avons réalisé des formations pour les restaurateurs et les conservateurs des collections des musées ainsi que de l’Académie des Beaux-arts. Nous allons aussi collaborer sur les inventaires et la numérisation des collections au Congo. Nous ne travaillons pas encore avec le nouveau musée mais il y a une demande congolaise pour la formation des services publics, notamment celle des guides. Cela vaut aussi pour organiser celle sur la gestion et la conservation des collections que nous mettrons en œuvre dès 2020, dès que les Coréens auront quitté le musée et laissé la responsabilité de son exploitation aux autorités congolaises. Je pense qu’elles ne demandent qu’à établir une bonne collaboration avec l’AfricaMuseum de Tervuren et nous sommes disposés à répondre positivement à toute requête que nous recevrons du Congo.

L.C.K. : Comment le MRAC communique-t-il sur la restitution en dehors de ses mûrs  ?

G.G. : Nous prenons une attitude très constructive et positive. Nous sommes tout à fait prêts à avancer dans le dialogue. Nous en parlons déjà. L’an dernier au Congo, j’ai participé à un débat sur la restitution. Je suis prêt à étudier la restitution de certaines œuvres à grande valeur symbolique. Le Congo est aussi demandeur de certaines collections pour compléter les siennes, nous partageons cet avis. Mais les autorités congolaises disent elles-mêmes que la restitution est nécessaire mais qu’il faut la considérer sur le long et le moyen terme. Ceci eu égard au fait que pour le moment, le Congo n’a pas la capacité requise pour le stockage des œuvres ni pour leur conservation et restauration. Et, comme le président Tshisekedi l’a dit à l’inauguration du Musée, la restitution de certaines collections est inévitable, je suis d’accord avec lui. Seulement, elle doit être organisée, il faut d’abord créer les conditions pour une bonne conservation de ces œuvres. Il faut donc d’abord assurer une capacité de stockage et de conservation. Nous sommes en proche collaboration avec le Musée et travaillons déjà dans ce sens mais cela prendra quelques années avant que l’on puisse vraiment parler d’une restitution plus que symbolique. Mais dans l’entre-temps, il y a la partie du patrimoine culturel constitué des archives photos et films que l’on pourrait numériser et rendre au Congo. C’est déjà fait pour certains films, il reste encore beaucoup à faire.Visite de l'AfricaMuseum assurée par un guide attitré du MRAC (© DR)

L.C.K. : La diaspora a une position assez tranchée au sujet de la restitution. Comment voudriez-vous qu’elle l’appréhende ?

G.G. : Pour elle, c’est une action symbolique qui a nettement plus d’importance que l’attitude remarquée auprès de mes collègues au Congo. Pour eux, c’est un risque de s’y engager si les conditions ne sont pas encore réunies dans le court terme tandis que dans la diaspora, il y a beaucoup d’activistes qui n’ont jamais été au Congo et ne connaissent pas ses musées. Ils ont un agenda politique, demandent la restitution sans bien savoir comment cela devrait s’organiser. Certains groupes sont très activistes et je comprends qu’ils manquent un peu de patience mais il faut considérer la réalité d’autant plus que notre principal partenaire, ce sont quand même les autorités congolaises. Et donc, si elles disent qu’elles ne sont pas prêtes et qu’il ne faut rien envoyer, je ne le ferai pas non plus.

L.C.K. : Que diriez-vous à ceux qui estiment qu’à défaut d’une restitution dans l’immédiat, il faudrait faire une compensation financière tirée de vos rentrées  ?

G.G. : Nous n’arrivons même pas à trouver un équilibre du budget, hormis cette année de réouverture où nous avons eu beaucoup de retours spéciaux. Sinon, je ne vois pas comment nous pourrions utiliser une partie de nos rentrées en les envoyant au Congo. Du reste, nous nous avons déjà un programme de coopération très étendu avec plus de deux millions trois-cent mille euros par an. Une grande partie de cet investissement va vers le Congo. Ce transfert existe donc déjà sous la forme de fonds de coopération. J’estime que pour le moment, s’il faut encore transférer quelque chose au Congo, il faudrait d’abord élaborer un projet qui dise à quoi il va servir, qui va le recevoir. Est-ce de l’argent qui sera automatiquement utilisé pour les frais de fonctionnement ou va-t-il améliorer la vie du musée ? Je ne dis pas non à cette discussion mais elle est prématurée. 

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Guido Gryseels, directeur général du MRAC /Frank Abbeloos Photo 2 : Visite guidée de Martin Fayulu assurée par les directeurs et un chef de service/Papy Ibula Photo 3 : Visite de l'AfricaMuseum assurée par un guide attitré du MRAC / DR

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