Interview: Jean-Marie Bamokena « Le théâtre est un art aux mille vertus »

Vendredi 24 Août 2018 - 20:10

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L'ancien directeur de cabinet de l'ex-préfet de Brazzaville et fondateur de la troupe Agora est l'un des ténors du théâtre congolais. Il est auteur de plusieurs pièces dont Le chef de famille malgré lui" et " Quand le sida s'en mêle" qui ont été respectivement couronnées Meilleure pièce de théâtre populaire 2008 et Meilleure pièce de théâtre de sensibilisation 2010 par les Grands Prix Afrique du théâtre trancophone à Cotonou, au Bénin. Entretien.

 

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Comment le théâtre a-t-il gagné votre cœur ?

Jean-Marie Bamokena (J-M.B.) : Au départ j'ai eu le privilège de connaître Patrice Yengo, un homme qui m'avait initié à la rédaction des articles de fond sur les thèmes politiques et sociaux dans sa revue des sciences sociales. Malheureusement le retour fut défavorable du côté des lecteurs. Tous ceux qui lisaient nos articles disaient qu'ils étaient inaccessibles. Cela nous poussa à revoir notre manière d'écrire pour nous rendre plus lisibles et intéresser un plus grand nombre. On s'est finalement aperçu que ce n'était pas notre manière d'écrire qui était mise en cause, plutôt le niveau intellectuel du lectorat. Et cela a fait un déclic dans ma tête, me demandant que faire pour que ce que j'écris soit accessible à ceux qui me lisent. Dieu merci, au hasard de mes lectures, je suis tombé sur Shakespeare, découvrant dans le théâtre un bon moyen pour exprimer mes idées. J'ai donc écrit ma première pièce de théâtre, "Quand le sida s'en mêle," en 1994 à Djambala. Depuis, le théâtre est devenu pour moi une passion.

L.D.B. : Certaines personnes se demandent ce que la société a à gagner du théâtre. Que leur répondez-vous ?

J-M.B.: Le théâtre est un art aux mille vertus. Beaucoup de gens le savent, surtout en Occident. D'ailleurs, le théâtre au Congo est un héritage colonial. C'est une activité culturelle qui est née presque au même moment avec la philosophie si nous nous référons à l'histoire grecque antique. Là où il y avait le philosophe, là se trouvait le poète, c'est comme ça qu'on appelait dans l'Antiquité ceux qui faisaient le théâtre. Nous avons, dans notre société, la fâcheuse habitude de faire les choses sans bien réfléchir au préalable. La fonction du théâtre est de nous égayer tout en nous amenons à nous poser des questions sérieuses sur notre agir et sur la société pour voir ce qu'il faut rectifier. Dans nos traditions au Congo, nous n'avons pas connu le théâtre, cependant depuis l'école et par les médias audiovisuels ainsi que par des espaces culturels comme le Cfrad ou les instituts français, le théâtre nous enchante et nous interpelle, nous aidant à nous mirer à travers les différents personnages mis en scène. Comme la philosophie, le théâtre fait réfléchir, à la différence que le théâtre intéresse un plus grand nombre et nous renvoie à la vie réelle.    

L.D.B. : La littérature congolaise a révélé d'illustres dramaturges comme Antoine Letembet Ambily, Sylvain Bemba et Sony Labou Tansi..., qu'apportez-vous de nouveau par rapport à ces précurseurs ?

J-M.B;: J'admire beaucoup la plume de ces aînés et de bien d'autres qui nous ont précédés, aussi bien les spectacles qui s'inspirent de leur œuvre mais le problème avec ces aînés c'est qu'à peine sortis de la colonisation, ils ont été condamnés à se consacrer à la tragédie pour dénoncer les oppressions coloniales et les injustices postcoloniales. La chance que j'ai, c'est de l'avoir constaté et de me dire, à côté de la politique, il y a d'autres sujets de société à traduire au théâtre pour mieux revoir notre manière d'être. Par exemple, tous les week-ends, il y a des gens qui se marient autour de nous, il faut se demander si la femme y trouve son compte. Est-ce que donner cinq ou sept machettes est une preuve d’amour ? Tous les jours nous assistons à des veillées mortuaires dans nos villes. Tel qu'elles sont organisées, pouvons-nous être sûrs de bien agir? Voilà donc autant de sujets qui peuvent nous inspirer au théâtre sans toutefois négliger le thème politique car c'est la politique qui est au centre de toute chose dans la société. Aujourd'hui, j'ai une dizaine de manuscrits sur des thèmes variés, dont "Postite", "Quel pays", "La veillée levée", "A l'école comme à l'école", "Le mariage de Loukoula n'aura pas lieu", etc. Dans tous ces textes, je traite des thématiques actuelles en suivant le style des grands classiques comme Molière et William Shakespeare, tout en y ajoutant une dose d'intertextualité.

Propos recueillis par Aubin Banzouzi

Légendes et crédits photo : 

Photo:Jean-Marie Bamokena

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