Myriam-Odile Blin : pour un nouveau pacifisme euro-africain

Dimanche 30 Mars 2014 - 7:15

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Wanghari Maathai : « Nous n’avons le droit ni de fatiguer ni de renoncer »

Myriam-Odile Blin, maître de conférences à l’université de Rouen, est sociologue de l’art. Son terrain est l’art contemporain africain. Elle est membre du groupe de recherche international Opus 2, Africartec, Paris.

Quelles sont les conditions nécessaires à l’essor de ce nouvel humanisme orienté vers la paix entre les peuples en Europe et en Afrique, que celle-ci soit anglophone, francophone ou arabisante ? Sans nul doute le dialogue interculturel et intercommunautaire dans l’Europe métisse, en Francophonie et au-delà, constitue aujourd’hui l’une des conditions à l’essor de cette paix. Et l’instauration d’un nouvel ordre mondial dans lequel le seul profit d’une petite minorité ne serait pas l’objectif prioritaire n’en est pas une condition secondaire. Les armes lumineuses de l’art et de la culture peuvent participer à la création d’un langage de réconciliation et instaurer de nouveaux modèles culturels et littéraires, mais aussi politiques au-delà des anciens canons culturels nationaux qu’il s’agit de dépasser aujourd’hui.

La culture a alors son rôle à jouer dans la redéfinition des relations économiques entre les peuples afin que le main stream anglo-saxon ne nivèle pas les industries et les cultures. Le maintien d’une vigilance citoyenne élargie à l’Europe, mais aussi au-delà à l’ensemble des communautés auxquelles appartiennent les différents pays européens, Francophonie, Unesco, G8, etc. passera en effet inexorablement par la culture à condition que celle-ci soit considérée pour elle même et non pas instrumentalisée par le politique.

Le continent africain est pour sa part rattaché à diverses communautés d’intérêts et de langues, avec les langues nationales telles que le swahili, mais aussi l’anglais, le français, le portugais, l’arabe… Ces entités linguistiques sont liées dans leur constitution au passé colonial le plus souvent. L’un des grands enjeux de la diplomatie internationale européenne et africaine actuelle consiste à devenir véritablement collective, et en Europe, européenne, et non pas seulement nationale, et à laisser de côté le temps postcolonial de la France-Afrique, par exemple, pour instaurer des partenariats plus équitables entre les Nords et les Suds au niveau économique. Mais cela ne pourra se faire que si la dimension culturelle des relations entre les peuples et États mis en coprésence est mieux considérée. Le nouvel ordre mondial ne peut exister pacifiquement que si l’humain, c’est-à-dire la culture, est considéré comme une valeur supérieure à l’intérêt économique.

Autre élément de réflexion : le retour du religieux en Europe sous des formes inattendues. Si les flux migratoires ont permis l’essor d’une population musulmane en Europe, venue principalement d’Afrique du Nord et subsaharienne, on a malheureusement trop peu vu l’immense richesse de cet apport en termes culturels. Le réflexe du rejet de la différence et de la différence de religion reste souvent plus fort que l’accueil de l’autre. Et un « musulman imaginaire » devient le lieu de focalisation des peurs contemporaines : intégriste, terroriste potentiel, polygame, le musulman, quelle que soit la modération, la tolérance dont il fait preuve et son niveau d’assimilation à la société d’accueil, devient le nouveau bouc émissaire sociétal. Quelles valeurs citoyennes, chrétiennes ou simplement humanistes, inspirées des droits de l’homme que la société française fit éclore serait-il souhaitable de remobiliser afin que cet accueil de l’autre trouve sa pleine réalité aussi bien aux niveaux politique, législatif que dans la vie quotidienne ? La rhétorique politique de la sécurité n’est qu’un paravent malheureux face à l’impuissance des États à penser leur métissage culturel. L’Europe riche de la diversité de tous ses apports migratoires est confrontée aujourd’hui à un monde multipolaire dont elle n’est plus le centre et à de nouvelles entités et communautés transversales qui débordent les frontières des États.

Si elle souhaite qu’une « géographie de la colère » telle qu’elle est décrite par Arjun Appaduraï ne s’instaure pas à la place de rapports plus sereins et pacifiés, elle doit de toute urgence considérer ses communautés immigrées et leurs élites comme des passeurs de paix entre ici et là-bas. Les médias européens doivent également redéfinir autrement leurs stratégies de développement et de diffusion dans ce monde métis et multipolaire, enfin les politiques économiques viser à plus de justice dans la répartition des richesses et de leurs dividendes dans le monde. Si ce n’est pas le cas, on assistera alors à un mouvement de désolidarisation de l’Afrique par rapport à l’Europe, comme l’indique avec discernement Achille Mbembé.

Le vingt et unième siècle a vu la figure tutélaire de Nelson Madiba Mandela s’éteindre et un pays, l’Afrique du Sud, qui aurait pu sombrer dans des guerres fratricides, instaurer un climat relatif de réconciliation. Dans son discours d’investiture à la présidence, Nelson Madiba Mandela indiquait que c’est face à sa propre lumière que l’homme est le plus craintif. Résilience, réconciliation, pardon et métissage culturel sont les seules voix lumineuses d’accès à la paix. En août 1892, lors d’une conférence pour la paix à Berne, Bertha Von Suttner appela à la création d’une union des États européens, trois années après la publication de son virulent À bas les armes. Elle était en avance sur son temps, on connaît l’histoire.

L’idée qu’elle développe dans cet ouvrage, et selon laquelle les conflits peuvent se résoudre autrement que par l’affrontement armé, est d’une brûlante actualité dans l’Europe et l’Afrique contemporaines.

Myriam-Odile Blin