Théo Ananissoh : « Sony est un jalon significatif de l’histoire littéraire africaine de langue française. »

Vendredi 9 Octobre 2015 - 22:46

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Ecrivain et universitaire togolais, Théo Ananissoh, installé en Allemagne, est l’auteur du roman Le Soleil sans se brûler, publié aux éditions Elyzad. Sur 112 pages, ce roman évoque Sony Labou Tansi, romancier, poète, metteur en scène et dramaturge congolais, décédé en juin 1995.

Les Dépêches de Brazzaville : Quels sont vos souvenirs sur l’écrivain Sony Labou Tansi ?

Théo Ananissoh : Un seul. C’était en 1986, à l’automne (ou alors au tout début de 1987). Dans tous les cas, je venais d’arriver en France. Notre prof à la Sorbonne nous a informés qu’aurait lieu au Centre Beaubourg, à Paris, une rencontre avec Sony Labou Tansi. Je garde le souvenir d’une séance peu satisfaisante. Sony a été verbeux, sans réel propos littéraire ou intellectuel à mon goût. Comme je l’expérimenterais moi-même bien après, il n’y avait guère d’auditeurs africains dans la salle. Je pense même avoir été l’un des rares Africains présents. A la fin, j’ai attendu là, rien que pour pouvoir observer Sony un peu plus. J’ai descendu les interminables escaliers roulants du Centre Beaubourg à quelques mètres derrière lui. Il m’intéressait ainsi parce que j’entendais fermement devenir moi-même écrivain.

L.D.B : Pourquoi lui avoir consacré votre livre Le Soleil sans se brûler ?

T.A : Ce livre fait suite au souhait de mon éditrice (Elyzad) de lancer une collection consacrée aux auteurs et artistes africains. Pas des biographies, mais des œuvres où l’artiste choisi serait un personnage de création littéraire. Elle a aimé ce que l’écrivain français Jean Echenoz avait fait avec le compositeur Maurice Ravel. J’ai hésité entre trois écrivains africains que je crois bien connaître : Mongo Béti, Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi. J’ai choisi ce dernier parce que mon ami Boniface Mongo-Mboussa, à qui j’ai parlé du projet, m’a prêté un document essentiel sans lequel je n’aurais pas écrit mon roman ; un texte signé d’un de mes anciens profs à l’université de Lomé Yao Edo Amela qui a séjourné avec Sony pendant un mois et demi aux USA en 1980. C’était là une belle connexion entre le Congo (Sony) et le Togo (Amela) qui m’a séduit. J’ai aussitôt vu le profit que je pouvais en tirer.

J’aime singulièrement trois pays africains pour leur belle vigueur littéraire : le Sénégal, le Cameroun et le Congo. Je parle des pays de langue française. Donc l’idée m’a amusé d’imaginer un peu le Togo tentant de piquer au Congo une de ses gloires littéraires. Et cela me plaisait de traiter en creux de l’admiration et de l’amitié que j’ai pour l’un des tout meilleurs esprits littéraires africains actuels, Boniface Mongo-Mboussa. Je vous assure que je donnerais beaucoup pour l’avoir comme compatriote ! Allez ! Rêvons. L’idéal aurait été d’être tous deux, lui et moi, de la Centrafrique afin de consoler un peu l’âme meurtrie de ce pays où je suis heureux d’être né. Mon roman est donc aussi une métaphore.

L.D.B : Qu’évoque le titre " Le soleil sans se brûler"?

T.A : Je l’emprunte au poète grec Odysseus Elytis. Je pense que Sony a aspiré – c’est à son honneur – au soleil mais n’a pas su ou pu éviter d’être brûlé. Il a tendu vers quelque chose de grand et de bien, hélas ! à une époque épouvantable pour tout écrivain africain de langue française. Les gens ne comprennent pas une chose pourtant simple : on ne peut pas être un écrivain accompli dans un contexte humain qui est sous tutelle. L’esprit, qui est divin, ne peut pas être sous contrôle. Regardez comme les écrivains africains de langue anglaise sont épanouis comparativement aux Francophones. Je déconseille instamment aux jeunes auteurs africains d’être dans des liens d’amitié avec toute personne qui est, vis-à-vis d’eux, dans la position de celui qui décide des aides et autres appuis financiers. D’une manière générale, hors d’Afrique, ne soyez pas amis ou même potes dans un rapport de force matériel déséquilibré. La nature, chez nous, est très généreuse, mais très ingrate en Europe ; cela a une forte influence culturelle de part et d’autre. Et lisez Balzac !

L.D.B : Votre livre est paru en mars dernier dans l'effervescence littéraire et artistique pour les vingt ans de la disparition de l'auteur. Est- ce votre façon de lui rendre hommage ?

T.A : Mais oui ! C’est un hommage, mon roman. Et une récupération à notre profit de ce qu’on confisque. Lui rendre hommage, vingt ans après sa mort, c’est essayer de clarifier son destin tragique. Afin que nous qui venons après lui ne soyons pas victimes de ce qu’il n’a pas su éviter, lui. Il y a une histoire littéraire africaine de langue française ; Sony en est un jalon significatif. C’est pour moi un devoir d’y voir clair. J’insiste : ce n’est pas une affaire nationale (congolaise) mais africaine.

L.D.B : Pourquoi n'avoir pas écrit simplement un témoignage au lieu du roman ?

T.A : Je n’ai pas fréquenté Sony. Je n’ai pas de souvenirs personnels à son sujet à conter. J’ai fait un diplôme universitaire sur ses écrits. Devenu écrivain moi-même, cela ne m’intéressait plus de lui consacrer un temps précieux de création si ce n’était pour… créer justement. Le soleil sans se brûler est un roman, une fiction qui développe d’autres personnages que Sony.

L.D.B : Quelle est la mesure du témoignage sur Sony dans ce roman?

T.A : Un des personnages principaux du roman, Charles Koffi Améla, a connu Sony aux USA. Ils ont scellé un pacte d’amitié – c’est authentique si j’en crois Amela qu’encore une fois j’ai eu comme prof à Lomé dans les années 80. En janvier 1995, Sony est alité dans un hôpital parisien. Améla lui-même sort de prison (il a été brièvement ministre). Il tient à honorer son pacte d’amitié avec Sony. Le narrateur lui rend précisément visite à ce moment-là. Le témoignage sur Sony est celui d’Améla. Exclusivement. On a tort de me prêter tout ce qui est dit sur Sony dans le roman. Le portrait de Sony qui ressort du roman est subjectif, bien entendu. C’est une interprétation qui peut convaincre ou pas les connaisseurs. C’est Sony tel que vu et connu par Améla. Point. Je parie que vous avez vos informations et avis catégoriques mettons sur un de vos célèbres musiciens congolais par exemple. Sony, dans ce roman, est ce qui ressort des propos d’Améla. Il y est donc indirectement.

L.D.B : Comment avez-vous découvert Sony?

T.A : A la fin de l’adolescence, à Lomé. J’ai lu dans une revue dont j’ai oublié le titre une de ses nouvelles qui m’a beaucoup plu par son sens de la rébellion et de la morale. Ensuite, vers la fin des années 80, à la Sorbonne, La vie et demie a été au programme d’un semestre de cours que j’ai suivi. Un travail de comparaison avec L’automne du patriarche de Garcia Marquez. J’ai alors décidé de m’intéresser sérieusement à cet écrivain.

L.D.B : Quel est le livre qui vous a le plus marqué?

T.A : Vous voulez dire celui de ses livres ? Eh bien ! La vie et demie. Je m’adresse aux Africains : dans ce roman, Sony a eu une terrible vision. Le devoir de chaque littéraire africain est de comprendre et d’expliciter ce que Sony a vu. C’est son grand héritage. Tout ce qui ne concerne pas cela est enfumage délibéré.

L.D.B : Vous serez-vous brûlé à la flamme de son style?

T.A : Non. Pas le style. J’aime et fais autre chose en matière de style. Sony, encore une fois, c’est la vision de quelque chose dont on ne veut pas que nous prenions conscience. Il faut expliciter cela. Il a accompli sa part de lutte, ce gars.

 

 

 

 

 

Entretien avec Roll Mbemba

Légendes et crédits photo : 

Théo Ananissoh; Crédits photo: DR

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