Marché des céréales: la Russie et ses potentialités agroindustrielles

Samedi 16 Décembre 2023 - 11:45

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Un fort taux de croissance agricole doublé d’une maîtrise de la chaîne de production des équipements spécialisés, sous sanctions, la Russie adapte son économie à un environnement international complexe. Et reste préoccupée par l’absence de compromis sur la question de l’approvisionnement du marché mondial des céréales, primordiale à ses yeux, pour surmonter le défi de la sécurité alimentaire.

A un groupe de médias africains et du Proche-Orient (1) qu’elles ont associé aux journées « portes ouvertes » des entreprises de pointe de leur pays en matière de fourniture de services, de recherche et développement, les équipes russes ont voulu partager l’expérience qui en fait dans ce domaine un acteur important sur l’échiquier international. La série de visites organisées du 11 au 15 décembre dans les villes de Moscou, Saint-Pétersbourg et Novorossiysk, avec une escale à Sotchi, a consisté à montrer l’intérêt de ce pays dans la diversification de ses partenaires. 

Le 11 décembre, dans une capitale russe battue par un hiver grêlant, le bal est ouvert par une demi-douzaine d’experts dont Anastasia Likhacheva, doyenne de la Faculté d’économie et de politique de l’Université nationale de recherche, et Anton Chermensky, chef du département de la politique d’information de Rossotrudnichestvo. Ils admettent d’entrée de jeu faire leurs premiers pas dans la mission d’exposer sur les atouts de leur pays dans un cadre interactif, et promettent de ne pas en rester là. En dépit de cet aveu de politesse, les chiffres qu’ils dévoilent apportent l’explication : la part de la Fédération de Russie dans la fourniture des céréales à l’échelle mondiale est de 20 à 30%. Cette année, la production des céréales est en hausse de 2,5% portant le disponible à l’exportation à des milliers de tonnes supplémentaires.

Equilibrer les intérêts des Etats

Une offre exceptionnelle autant que l’est, confessent-ils, la demande exprimée par plus de vingt pays, dont pour le compte de l’Afrique le Burkina Faso, le Zimbabwe, le Mali, la Centrafrique et l’Erythrée, concernés par la livraison en cours de plus de 200 000 tonnes de céréales. Pour les orateurs, l’absence de convergence de vues entre les pays constitue un obstacle majeur à la régulation du marché des approvisionnements. « En 2022, le monde a produit 2% de produits en plus, mais il y a 10% de personnes affamées en plus », regrette l’universitaire, pour qui il est fondamental de « trouver un équilibre entre les intérêts des Etats, de la société et des entreprises ».

Tous répètent en chœur que l’Afrique est une région « clé » et devrait profiter des opportunités présentes dans plusieurs domaines. La sécurité alimentaire, est « un sujet vaste ; elle concerne aussi la formation des cadres, la construction des infrastructures, l’adoption des politiques communes de développement », plaident-ils.

Des partenariats fiables

Convaincue que beaucoup produire est synonyme de vendre davantage, la Russie, dont l’accès au marché occidental est entravé par les sanctions prononcées à son égard en rapport avec la guerre en Ukraine, explore d’autres débouchés. Considérant comme « stables » ses liens avec les pays de la CEI (Communauté des Etats indépendants), elle mise aussi sur ses partenaires de la plateforme BRICS +, consolide ses relations avec les pays arabes et considère l’Afrique comme ce marché en devenir dans lequel elle entend s’investir à fond. Au continent de savoir comment s’y prendre en privilégiant la politique du « gagnant-gagnant ». Coordonnatrice de la direction de l’exploitation des machines spécialisées, Viktoria Gamova explique, par ailleurs, qu’après le départ des entreprises étrangères, l’industrie nationale a réalisé des progrès en termes d’innovation et de standardisation de ses produits. Elle loue en passant les échanges en augmentation avec plusieurs pays africains parmi lesquels l’Egypte, l’Ethiopie, le Maroc, l’Angola, l’Algérie, l’Afrique du Sud. 

L’outil de production

A l’entrée de l’usine de fabrication des machines agricoles de Saint-Pétersbourg, la deuxième ville de Russie, trône un char posé sur un socle. « Un symbole célébrant les soldats qui se sont dévoués pour la patrie », assure Olga Titova, notre interprète à l’accent éprouvé. Fondée il y a deux-cents ans, Petersburg Tractor Plant était à l’origine un fournisseur de canons à l’usage des forces armées du pays. Depuis, elle a fait sa mue et son directeur de la formation, qui ne souhaite pas commenter le volet matériel militaire de sa société (qu’elle n’a peut-être pas abandonné), en est fier.

En 2022, explique Alexandre Sokolov, « l’usine a sorti de ses ateliers 4300 tracteurs et Caterpillar destinés au marché intérieur et à l’export ». Il évoque le départ d’un partenaire européen, Mercédès, et son remplacement par un autre « étranger » qui travaille en symbiose avec deux partenaires russes. Soixante-dix-sept concessionnaires à travers le monde, ajoute-t-il, pour l’achat de ces équipements avec service après-vente. Quand on lui demande l’effet des sanctions contre Petersburg Tractor Plant, il explique qu’elles n’ont pas empêché son entreprise de progresser. Même sérénité chez l’opérateur Tauras-Fenix, une usine de fabrication des intrants agricoles de tous types et de packaging ; et auparavant à Moscou dans la vaste enceinte du centre de Skolskovo, encore appelé « la Silicon Valley russe » où opèrent des équipes de recherche et développement en sciences et technologies. Lancé en 2009, il est considéré comme le principal parc d’innovations du pays.

A Novorossiysk, ville portuaire en mer noire, plus de 2 800 km à l’Est de Moscou, se trouve le point de dispatching des fameuses céréales produites dans le pays. Construite en 1893 sur une surface de 14, 5 ha, la capacité de stockage de la société des céréales unie de Russie est d’environ 250 000 tonnes. A partir de cette plaque tournante gigantesque, les navires chargés du produit prennent la direction des pays d’Europe, d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique, commente Evgueny Sutchenko, le directeur général adjoint de l’entreprise spécialisée dans la prestation de service.

Quel message ?

En dépit d'un contexte international marqué par l'apparition de nouveaux murs dans les relations internationales, son isolement sur la scène occidentale incite Moscou à explorer de nouvelles opportunités de partenariats. En comptant pour cela sur sa propre expertise, et sur ce que l’on appelle ici les pays « amis », expression qui revient dans le langage des officiels russes pour les distinguer de ceux qui ne le sont pas ou plus pour diverses raisons. Sa position stratégique, sa place de tête sur le marché mondial des céréales, ses nombreuses ressources et sa résilience en font un acteur majeur dans la perspective d'un éventuel dialogue avec les parties impliquées en Ukraine quand les esprits se seront calmés et les évidences constatées.

Même si donc le pays de Vladimir Poutine paraît mieux surmonter les conséquences des sanctions déclenchées par l'Occident suite à son opération militaire spéciale aux conséquences multiples, il ne verrait pas d’un mauvais œil le tassement des rivalités avec ses voisins européens. Il est vrai que le statu quo actuel n’arrange ni les affaires du monde ni celles des parties belligérantes. Quand bien même, et c’est aussi cela le cours des choses, à terme les uns et les autres entendent dire que le terrain pourrait dicter tout. Sans savoir exactement quand?

  1. Egypte, Maroc, Congo, Ethiopie, Tanzanie, Turquie, Kirghizstan, Liban, Jordanie, Syrie.

 

Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

1° Une vue des installations du Port de Novorossiysk; Les experts lors de la réunion avec les journalistes; L'usine des tracteurs à St-Petersbourg / Adiac

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