9e Journée nationale des mémoires de la traite : François Hollande opposé à toutes réparations matérielles

Lundi 12 Mai 2014 - 19:27

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La France a célébré, le 10 mai, la 9e Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et leurs abolitions. Cette journée s’inscrit dans le contexte du 220e anniversaire de la première abolition de l’esclavage par la France et du 210e anniversaire de l’indépendance d’Haïti à la suite du soulèvement des esclaves

À cette occasion, plusieurs manifestations ont eu lieu sur l’ensemble du territoire - notamment à Nantes, à Bordeaux et à La Rochelle, porte d’entrée des esclaves -, et dans les Outre-mer. La cérémonie officielle a eu lieu à Paris, dans le jardin du Luxembourg au Sénat, en présence du président de la République François Hollande, et de plusieurs ministres, notamment la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Christiane Taubira, et la ministre d'Outre-mer, George Pau-Langevin.

François Hollande était accueilli par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, et par la présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE), Myriam Cottias, en présence des enfants de plusieurs collèges de l’Île-de-France. Après un dépôt de gerbe et un instant de recueillement à la mémoire des esclaves et des combattants abolitionnistes, le président de la République a inauguré l’exposition « La République et les abolitionnistes » au Préau Saint-Michel, au Jardin du Luxembourg.

Dans un discours qui a duré une quinzaine de minutes, François Hollande a livré un message de rassemblement, et a salué tous ceux qui œuvrent pour le travail de la mémoire. Et le président d'affirmer : « La France est fière des Outre-mer, de tous ses enfants, de sa jeunesse. Elle ne peut admettre les discriminations à l’école, au travail pour l’accès à la culture et à la mémoire. »  

Le chef de l’État français a aussi dénoncé l’enlèvement de 223 élèves au Nigeria par la secte islamiste Boko Haram. « La France ne peut pas supporter d’entendre de nouveau prononcer le mot hideux d’esclavage sur le sol africain », a-t-il déclaré, qualifiant de « crime abject des hommes qui vendent des femmes ». Il a réclamé une punition pour de telles « abominations ».

Réparation ou pas réparation ?

Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) a engagé des poursuites en justice contre l’État français. Il a aussi demandé des réparations financières à la Caisse des dépôts et consignations – lui reprochant d’avoir profité de la traite négrière -, au groupe Spies Batignolles, à la Banque de France, au Crédit Suisse, à la Banque Hottiguer, à la Banque Maller et à trois familles bordelaises - Bethmann, Gardis, Balguerie-Stuttenberf, impliquées dans le commerce triangulaire. La ministre George Pau-Langevin ne s’est pas montrée « hostile à une réflexion », tout en estimant qu’on ne peut pas évaluer « financièrement un crime aussi énorme ».  

Elle a été rejointe dans sa réflexion par François Hollande, qui a prôné « la paix des mémoires réconciliées » face à l’« impossible réparation », qui a adressé à nouveau une fin de non-recevoir aux revendications de réparations matérielles de certaines associations, plaidant plutôt pour « la mémoire, la vigilance et la transmission », comme « seul choix possible, le plus digne et le plus grand », fermant la porte à toute compensation financière.

Un sondage Ifop commandé par le Cran, indique que 63% des habitants des départements d’Outre-mer sont favorables à des réparations, « qu’elles soient orales ou financières ». Des positions qui ne font pas l’unanimité parmi les descendants d’esclaves.

Polémiques autour de la mémoire

Le maire Front National de Villers-Cotterêts dans l’Aisne, Franck Briffaut, où a été enterré le père d’Alexandre Dumas, a créé la polémique, dénonçant « l’autoculpabilisation permanente » et refusant de participer à la commémoration. François Hollande a estimé que ce maire « devrait s’honorer » de célébrer cette journée et le général Dumas - enterré en 1806 dans la ville, premier général afro-antillais de l’armée française né à Saint Domingue, dans l’actuelle Haïti, et père de l’écrivain Alexandre Dumas.

Le président a aussi fait référence à l’Haïtien Toussaint Louverture, au poète martiniquais Aimé Césaire et au Sud-Africain Nelson Mandela. Il a appelé la France à « porter un regard lucide sur son passé et à se situer aux côtés de ceux qui luttent pour la liberté et la justice », notant que « la France n’est jamais la France quand elle ferme les yeux sur son histoire ».

L’Origine de la Journée commémorative de l’abolition de l’esclavage

La date du 10 mai correspond à l’adoption par le Parlement, le 10 mai 2001, de la loi Taubira, l’actuelle ministre de la Justice, « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité », décidée par le président Jacques Chirac, pour engager une réflexion générale sur l’ensemble de la mémoire de l’esclavage longtemps refoulée pour entrer dans l’histoire de la France. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur la façon dont la mémoire de l’esclavage peut trouver sa juste place dans les programmes de l’enseignement primaire et secondaire. Sa célébration officielle remonte au 10 mai 2006.

Au niveau international

L'article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme prescrit : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. » Les Nations unies consacrent une journée, le 2 décembre, « Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage », considérée comme la date anniversaire de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, de la convention pour la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui en 1949.

Il y a également la date du 23 août, initiée en 1998 par l’Unesco, « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition », rappelant que dans la nuit du 22 au 23 août 1791, éclata à  Saint Domingue – actuel Haïti, un soulèvement d’esclaves qui aura fortement influencé le processus d’abolition de la traite négrière dans l’ensemble des colonies européennes.

Ces journées sont aussi l’occasion d’élargir la réflexion à des problématiques actuelles comme la traite des êtres humains, le travail forcé et celui des enfants en particulier. On peut regretter que l’on continue à vendre des jeunes filles, des enfants, à forcer les mariages, à faire de l’immigration un vrai trafic d’êtres humains, ou encore à faire travailler des enfants dans les mines ou pour fabriquer des vêtements de marque.

Cette journée est l’occasion de rappeler la France et son héritage, à son destin et aux valeurs sur lesquelles repose son pacte social. Que c’est au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que certains grands hommes et femmes se sont élevés au-dessus de leur idéal pour prendre part à l’abolition de la traite et de l’esclavage. Ce fut le cas de Victor Shoelcher, Louis Delgrès, l’abbé Grégoire, Toussaint Louverture et des anonymes qui ont contribué à dessiner le visage de la République française et à forger son identité humaniste, qu’il faut sans cesse renforcer, tout en restant lucide et vigilant.

 

Noël Ndong