Evocation : Penelope, Shéhérazade : stratagème de femmesVendredi 21 Août 2020 - 14:00 Après le stratagème de Penelope la Grecque, traversons la mer Egée, allons dans le golfe Persique boire à la source intarissable de Shéhérazade. La Persane est face à un défi. Pour sauver sa tête des fureurs de son royal époux à la jalousie criminelle, elle s’est fixée la tâche de lui raconter une histoire palpitante dont la suite du récit est remise chaque fois au soir suivant. La perfidie de son épouse Dinah ne devait pas être sans avoir de sérieuses conséquences sur les relations entre le roi Sharyar, monarque de la Perse et les différentes épouses qui succédèrent l’infidèle dans son lit. Humilié et brisé dans son amour-propre par l’infidélité de sa femme, Sharyar conçut de se venger contre toutes les femmes qui honoreraient sa royale couche. Pour s’assurer qu’il ne sera pas de nouveau cocufié, chaque jour il se mariera avec une vierge qu’il ferait tuer à la manière orientale et musulmane, en l’égorgeant le matin des noces. De même que le lit d’Henri VIII, roi d’Angleterre, ne fut pas déserté par la gent féminine après le meurtre d’Anne Boleyne, de même la couche du dangereux Sharyar ne fut pas séchée par les candidates au lit royal. Avec pour résultat des frêles cous que le bourreau sectionnait chaque matin. Comment arrêter le massacre ? Question dont l’intelligence fut traduite par une autre qui consistait à savoir comment domestiquer le léopard sans finir la vie dans ses boyaux ? Shéhérazade, l’une des vierges qui voulaient épouser le roi Sharyar prit rendez-vous avec le destin pour relever le défi lancé par Sharyar à la gent féminine. Avec l’aide de sa sœur Dinarzade, elle mit au point un stratagème fort génial ayant la vertu de lui sauver la vie tout en humanisant le terrible Sharyar. Shéhérazade se mit dans la tête de raconter chaque soir à son dangereux époux une histoire palpitante qu’elle interrompait à l’aube tout en gardant la suite pour le soir suivant et ainsi de suite. Et, ce fut le miracle ! Sharyar emballé en redemandait chaque soir, encore et encore. Au bout de mille et une nuits, c’est-à-dire au bout de plusieurs soirs d’un récit qui s’enchaînait au récit, la conteuse finit par dompter le léopard. Elle avait vaincu l’aigreur, la suspicion, la jalousie et la brutalité de son époux qui reconnaissant en elle une femme d’esprit et de cœur décida de lui laisser la vie sauve. Shéhérazade puisa son stratagème dans la puissance d’une parole perlée de merveilleux. Comme l’écrivait Paul de Saint Victor, dans le conte de Mille et Une nuits, « tout est prodiges, tout est prestiges : les arbres chantent, l’eau parle, les pierres précieuses font l’amour, les fleurs proposent des énigmes. Des oiseaux fabuleux emportent du bout de leurs becs les talismans des pèlerins et les turbans des marchands pleins de sequins d’or. On trouve des diamants dans les poissons éventrés. Les tapis magiques transportant trois princes de la Chine à l’Inde frôlent les ailes de l’oiseau Roc dont l’envergure éclipse le ciel. » Le roi Sharyar ne pouvait qu’être émerveillé par la prouesse conteuse de Shéhérazade. Des récits comme « Ali Baba et les 40 voleurs ; Aladin et la lampe merveilleuse ; Sindbad le marin etc » sont depuis devenus des classiques mondiaux des contes pour enfants. Sur un autre versant, celui de la technique du récit, Shéhérazade fait aussi merveille. Aux Etats-Unis en particulier, les récits à la Shéhérazade font recette. Ce sont des brefs récits, simples, bien tournés, saturés d’intensité émotionnelle. Le public américain en raffole. Stratagème de femmes. Penelope la Grecque et Shéhérazade la Persane ont déjoué l’adversité et conquis le monde. Penelope pour prolonger l’attente de son époux absent du pays et rester fidèle à l’élu de son cœur prétendait tisser une toile à la finition interminable. Pour la Persane, l’enjeu était la vie de l’héroïne elle-même. Face à un homme humilié qui ne badinait pas avec les femmes, la partie était loin d’être gagnée pour Shéhérazade. Elle réussit le tour de force d’humaniser son monstrueux mari en recourant chaque soir à une distraction savante : le récit. L’apôtre Jean n’insistait-il pas sur la primauté de la parole et sur sa luminosité ?
François-Ikkia Onday Akiera Notification:Non |