Grazina, un récit du train (12)

Vendredi 8 Août 2025 - 15:46

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

 Grazina, prénom polonais ou lituanien ?

 Lorsque Grazina commença à décliner son identité, j’eus toutes les difficultés du monde à saisir son prénom. Après trois tentatives de prononciation infructueuse, elle griffonna d’un trait rapide le mot GraZina sur un papier. Sa calligraphie toute féminine était parfaite. Les lettres G et Z dominaient les débats. A la lecture de ce prénom, je ne puis m’empêcher de constater que dans la bouche de la Lituanienne, le Z était prononcé comme un J, ce qui donnait en définitif le son Grajina. Alors, j’observai :

  • C’est un prénom polonais ! Cette prononciation est polonaise.

Elle fut vivement surprise et intéressée par mon affirmation.

  • Oui, c’est vrai la prononciation et le prénom semblent polonais à première vue. Comment l’avez-vous su ?

Je déclinai une observation générale que j’avais faite sur la façon d’articuler la langue chez certains peuples du monde :

  • Lorsque que j’entends parler un Espagnol, j’ai l’impression d’entendre couler un torrent d’eau sans frein comme si le Créateur avait enlevé de sa bouche le bout de chair qu’on appelle la langue. L’Arabe expulse les mots d’une gorge étranglée. Tout comme chez les Allemands tout le débat langagier se situe dans une gorge qui bourdonne. Les Polonais, eux, mâchent les mots. Ils donnent l’impression d’appuyer les mots entre les dents lorsqu’ils parlent. Prenez du recul, faites l’expérience, vous verrez. En dehors de ces observations empiriques, j’ai des copains polonais à la faculté. J’ai posé mes pieds deux fois de suite à Centralnego, la gare centrale de Varsovie, un endroit infesté par de redoutables pickpockets.

Elle avait suivi mon exposé, en silence, sans me quitter des yeux. A la fin, admirative, elle s’empressa de me poser une seule question :

  • Et que dites-vous des Russes et des Français ?

Sa question était logique et me mit en difficulté. J’étais à la fois francophone et russophone. Je baragouinais déjà des mots de la langue de Molière avant que ma mère ne m’inscrive à l’école. Quant à la langue de Pouchkine, mon effort pendant son apprentissage consistait à la comprendre et à la parler sans me soucier du bruit produit par les harmoniques expulsées des bouches de ses locuteurs. Je finis par botter en touche pour sortir de ma difficulté :

  • N’est-ce pas qu’il est écrit que le bossu ne voit pas sa bosse ? Peut-être que vous pouvez m’aider là-dessus ?

Elle parut satisfaite de ma réponse. J’appris par la suite qu’elle passait le plus clair de son temps dans la ville de ses études à Kaunas. A l’Institut d’Agronomie, elle passait comme moi en quatrième année, ses parents vivaient à Vilnius. Puis revenant à son prénom, elle ajouta :

  • Pourquoi je porte un prénom que vous estimez être polonais ? Est-il polonais ou lituanien ? je n’en sais rien, ou plutôt, je continue de balancer. Retenez que la Lituanie et la Pologne ont dans le passé partagé une longue histoire. Au Moyen-âge, les deux entités se confondaient en un seul Etat avant de se scinder en deux maisons royales. A cette époque, la petite Lituanie d’aujourd’hui avait atteint l’apogée de sa puissance et s’étendait jusqu’à la mer Noire !

Je n’en revenais pas. J’écarquillai les yeux :

  • La Lituanie ?!…Jusqu’à la mer Noire ! Allons donc. Vous plaisantez ou quoi ? et les Russes, ils dormaient encore ?

Je me ressaisis rapidement et finis par reconnaître qu’au regard de l’évolution des conquêtes territoriales dont l’histoire mondiale est essaimée, selon toute vraisemblance, le narratif de Grazina n’avait rien d’une imposture. Des exemples des pays réduits à l’anonymat sur quelques hectares de terre après avoir connu la gloire dans le passé abondaient.

J’avouai que si je pouvais soutenir une discussion sur l’histoire de la République romaine, les Ides de mars, le complot contre Jules Cesar, l’empire romain, Valeria Messalina et les lupanars romains, l’empereur Septimus Severus, l’invasion des Barbares germaniques et la mise à sac de Rome, j’étais en revanche nul sur l’histoire du Moyen-âge européen qui m’apparaissait comme une véritable nébuleuse. Le Moyen-âge de la partie orientale dominée par l’invasion des hordes asiatiques de Gengis Khan et Tamerlan l’était encore plus en termes de la perception du mouvement des tribus slaves et de leurs voisins germaniques. (A suivre)

 

François Ikkiya Onday-Akiera

Notification: 

Non