Interview. Thierry Michel : « Il n’y a pas le moindre plagiat et la moindre contrefaçon du film de Balufu »

Mardi 17 Mai 2022 - 13:15

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Accusé de « contrefaçon » ainsi que de « vol et viol de l’imaginaire congolais »  et cité à comparaître à Kinshasa pour son dernier film, « L’empire du silence », consacré aux crimes commis en République démocratique du Congo (RDC) ces vingt-cinq dernières années, le réalisateur belge, Thierry Michel, réfute ces allégations et qualifie la plainte déposée contre lui de calomnieuse et de diffamatoire. Il a également déposé une plainte en diffamation au Congo et en Belgique.

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Quelle est la nature de la plainte déposée contre vous par les frères Balufu, qui sont des réalisateurs congolais ?

Thierry Michel (T.M.) : Dans la plainte, il est écrit « pour contrefaçon ». Ils prétendent qu’il y a eu quatre-vingts éléments copiés dans leur film (Congo, le silence des crimes oubliés, Ndlr). Mais, il n’y en a absolument aucun. La plainte est complètement montée de toutes pièces. Dans le film, les quatre seules images communes sont les interviews de Kagame et de Museveni qui appartiennent à l’agence Capa, où nous les avons acquises. Mais, Balufu ne les as pas acquises à l’agence Capa. Il fait donc l’objet d’une mise en demeure par cette agence. S’il ne répond pas, des poursuites judiciaires seront entamées contre lui pour « contrefaçon ». C’est l’arroseur arrosé . Dans le film de Balufu, outre ces images de l’agence Capa, j’ai répertorié dix-huit autres de "Mobutu roi du Zaïre", mais aussi des images de la RTBF et de la VRT (Chaînes de télévision belges, Ndlr) qui ne sont pas créditées au générique. Ce sont les problèmes de son film et ça ne me concerne pas. Ce qui me concerne, c'est qu’il n’y a pas le moindre plagiat et la moindre contrefaçon. C’est une opération tout à fait calomnieuse et diffamatoire.

L.C.K. : Quel est le contenu de votre dernier film « L’empire du silence » ?

T.M. : Dans ce film, je remonte 25 ans d’histoire, depuis l’arrivée des réfugiés hutus en 1996, jusqu’à l’élection de Tshisekedi. La principale différence avec Balufu, c’est que je donne la parole aux victimes, ce qui n’est pas le cas de son film. J’ai été dans différentes provinces du Congo,  dans toutes les provinces martyres pour récolter des témoignages sur les guerres et massacres commis pas seulement durant les deux guerres de 1996-1998, mais aussi sur l’histoire récente dont la crise et les massacres perpétrés au Kasaï. Ce sont des éléments qui ne sont pas développés dans le film de Balufu. Et, surtout, le film "L’Empire du silence"  décrit la manière dont la communauté internationale et les Nations unies ont abordé la question congolaise, principalement à propos du fameux rapport Mapping. J’ai donc été filmé aux Nations unies (New-York), au Conseil des droits de l’Homme (Genève),  au Parlement européen et au Congrès américain. Rien de tout cela ne figure dans le film de Balufu. Ce sont des éléments importants d’un travail journalistique d’investigation. C’est un travail historique extrêmement important et élaboré. 

Si on reprend les génériques des deux films, on peut, d’ailleurs, constater qu’il n’y a qu’une seule personnalité interviewée commune aux deux films et c’est le Dr Mukwege. Mais, le docteur ne se souvient pas d’une quelconque demande d’interview de la part de Balufu. C’est sans doute une interview qui a été reprise ailleurs. Tous les autres protagonistes du film sont différents.

L.C.K.: Les frères Balufu  disent vous avoir demandé la copie de votre film pour comparer avec le leur  et jusque-là, vous ne l’avez toujours pas envoyée…

T.M. : Je ne comprends pas. Ils m’attaquent en justice, cela veut dire qu’ils ont déjà effectué la comparaison. C’est de la mauvaise foi. Ils déclarent avoir repéré quatre-vingts extraits semblables, alors qu’il n’y en a aucun, à  l’exception des quatre images de l’agence Capa qu’ils n’ont pas acquises. Je ne vois pas pourquoi je leur donnerai une copie. IIs ne représentent pas la justice. Le film est en exploitation commerciale et je n’ai pas le droit de diffuser des copies. Seuls les distributeurs pourraient le faire sur demande de la justice.

L.C.K. : L’audience a été renvoyée au 30 août, serez-vous présent à Kinshasa ou serez-vous toujours représenté par vos avocats ?

T.M. : Je n’ai pas besoin de me déplacer pour un procès qui ne me concerne pas. C’est une histoire complètement absurde dont je ne comprends pas bien les dessous. Certaines personnes sous-entendent qu’il y aurait des dessous liés au contenu de mon film qui dérangerait. Le journal belge "Le soir" l’a évoqué. C’est très possible. Mais, je n’ai pas à me rendre à Kinshasa pour ce procès. Dans tous les cas, de nombreux juristes qui ont comparé les deux films et analysé le contenu de leur plainte l’ont jugée juridiquement irrecevable.

L.C.K. : Vous avez été surpris par cette plainte ou bien vous vous y attendiez ?

T.M. : J’ai été totalement surpris. On a présenté le film, très officiellement, au palais du peuple à Kinshasa en faisant salle comble, en présence du président de l’Assemblée nationale et de celui du Sénat. Tout s’est très bien passé. Gilbert Balufu était dans la salle et il n’a absolument pas réagi.

L.C.K.: Comment le film est-il accueilli ?

T.M. : Partout dans le monde, les critiques sur le film sont élogieuses. Je suis en route, avec le Dr Mukwege, pour le présenter à Washington et à New-York, et ensuite je continuerai sur Montréal. Cela fait partie de la campagne « Justice pour le Congo », une campagne sur les réseaux sociaux et qui mobilise sur les questions du plaidoyer du docteur sur la justice transitionnelle et sur tous les thèmes de la justice congolaise avec des propositions concrètes. Ce qui est central pour moi, c’est le film et cette campagne « Justice pour le Congo » ainsi que tout ce qu’on fait comme plaidoyer autour. Ce que je trouve étrange est que quasi personne n’a vu le film de Balufu. Il ne l’a jamais présenté ni en France ni en Belgique. Et il n’avait jamais été présenté au Congo jusqu’il y a peu. Pourquoi a-t-il fallu sept ans pour que son film soit rendu visible, alors que, jusque-là, il n’avait fait aucune campagne sur le thème de la justice au Congo. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il fasse campagne sur ce thème, il fait juste campagne sur ce plagiat imaginaire. C’est bien dommage.

L.C.K : Votre film sera-t-il encore projeté à Kinshasa ou dans d’autres villes de la RDC ?

T.M. : C’est ce qui est prévu. Les échéances ont dû être retardées car j’ai eu des soucis de santé. Sinon, je serai déjà retourné au Congo pour présenter le film dans plusieurs provinces du pays. Le film sera, d’ailleurs, présenté le plus massivement possible au Congo, comme il est présenté dans d’autres parties du monde. C’est une grande campagne qui sera menée sur le thème de la lutte contre l’impunité, afin de faire en sorte que les victimes soient reconnues un jour, qu’elles soient indemnisées et que les responsables des crimes commis au Congo rendent enfin compte de leurs actes.

L.C.K. : Il s’agit de votre dernier film sur le Congo ? Pourquoi ce choix ?

T.M. : Absolument, c’est mon dernier film sur le Congo. Cela fait trente ans que j’arpente le Congo sous toutes les latitudes, de l’est à l’ouest et du nord au sud. J’ai réalisé treize films et écrit deux livres. J’ai fait le tour de la question. J’ai dit tout ce que j’avais à dire sur le Congo. Depuis « Le cycle du serpent », j’ai abordé les thématiques qui m’étaient essentielles. Après ce premier film sur la fin d’un régime despotique,  j’ai réalisé le film « Mobutu Roi du Zaïre » qui raconte quarante années d’histoire et le portrait d’un dirigeant africain exceptionnel, un redoutable dictateur. J’ai abordé les questions géographiques avec « Congo River », en hommage au pays et à son fleuve, les questions économiques avec « Katanga Business » qui décrit la guerre économique entre les puissances occidentales et asiatiques pour se partager les richesses du Congo. J’ai ensuite réalisé le portrait de Moïse Katumbi. J’ai aussi abordé la question juridique avec un film sur la justice, à savoir « L’affaire Chebeya, un crime d’Etat », dont je suis content de voir les rebondissements aujourd’hui. A ce propos, j’avais rendu public un premier témoignage du major Milambwe, qui décrivait l’assassinat de Chebeya et de Bazana en 2012, mais la justice avait refusé de le prendre en compte. Aujourd’hui, c’est sur la base de ce même témoignage que ce procès a rebondi. J’en suis très heureux. J’avais à l’époque fait l’objet d’une première plainte déposée en Belgique par le général John Numbi suite à ce film. Mais, il a perdu le procès.  Et je vois aujourd’hui que c’est lui qui est en fuite pour les mêmes raisons que j’avais révélées à l’époque. J’ai ensuite réalisé le film sur le Dr Mukwege,  « L’homme qui répare les femmes » , c’est un hommage à une personnalité respectable, courageuse, charismatique, empathique par rapport aux victimes. Ce film « L’homme qui répare les femmes », nous avons été, avec le docteur, le présenter dans vingt-cinq pays au monde et dans les grandes enceintes internationales, notamment aux Nations unies, à New-York, au Conseil des droits de l’homme à Genève, au Parlement européen à Bruxelles et aux membres du Congrès américain à Washington. La cause des victimes congolaises a été bien défendue et cela a sans doute contribué à l’attribution du Prix Nobel au docteur. Dans ce film, j’avais déjà abordé la question des femmes victimes de violences et de viols en temps de guerre avec une extrême violence.

L.C.K. : C’est aussi votre dernier film en Afrique ?

T.M. : Oui, « L’empire du silence » n’est pas seulement mon dernier film sur le Congo, mais sans doute aussi mon dernier film en Afrique. Si la santé me le permet, je ferai encore des films ici en Belgique. D’ailleurs, mes deux derniers films avant « L’empire du silence » ont été réalisés en Belgique sur des enfants et des adolescents.

Je suis très content de ce dernier film « L’Empire du silence » parce que c’est un film bilan qui remonte vingt-cinq ans d’histoire et qui me permet d’avoir une vision globale du Congo et non plus fragmentaire, comme c’est le cas pour beaucoup de personnes. Dans ce film, on retrouve le flux de l’histoire de manière continue, les enchaînements qui ont créé, provoqué et fait perdurer la partie tragique de l’histoire congolaise.

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

1-Le réalisateur Thierry Michel 2 -Thierry Michel et le Dr Denis Mukwege 3- Thierry Michel en tournage au Congo

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