Les carburateurs ne connaissent pas les morts !

Jeudi 16 Juillet 2015 - 12:29

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Un corbillard peut-il tomber en panne ? La réponse pour le commun des Congolais semble évidente, mais quelle est-elle ?

Il n’est pas toujours évident pour le commun des Congolais que les corbillards sont avant tout des véhicules. Ils sont dotés d’un moteur qui fonctionne comme tous les moteurs de véhicule ; ils peuvent être conduits par des personnes plus ou moins au fait des codes et règles d’entretien. En somme, tout comme un « Foula-Foula » ou un « 100-100 », les véhicules des pompes funèbres municipales sont soumis aux mêmes règles que n’importe quel engin de ce type. Le fait qu’ils sont destinés à transporter des morts n’ajoute ni ne retranche rien à leur caractère premier de véhicule.

Mais l’entend-on toujours ainsi dans nos contrées ? Tout se passe comme si, du fait de leur vocation éminemment sociale, les corbillards n’avaient à se soumettre qu’à la seule volonté des parents éplorés voulant gagner le cimetière pour leur proche, disparu dans la douleur et dans l’émotion. Rien d’autre n’est possible : pas de panne sèche de carburant en chemin, pas de ratés possibles à l’allumage, pas de crevaison de pneu, pas même d’accident pendant le transport qui se fait dans les pleurs. Un corbillard, ça obéit et ça respecte la douleur des familles, point barre.

Pourtant à Kinsoundi l’autre samedi, les choses sont allées bien autrement. Et même si les interprétations ont cherché à ramener l’affaire vers l’éternelle manifestation des sorciers, le mécontentement du mort ou de ses (maternel et paternel) parents, au premier regard tout pouvait être dit et les responsabilités dégagées en toute simplicité. Qu’on en juge seulement par les faits que nous essayons de rapporter dans la fidélité de leur déroulement.

Il est 13h passées lorsque le cortège funéraire sort de la paroisse Ndona Marie et s’engage dans la grande rue. Direction visée : le cimetière privé de Loukanga, au sud de la ville. Le cortège est long. Beaucoup de paroissiens ont voulu marquer leur affection pour la jeune femme emportée par un mal incurable, et laissant quatre enfants et un mari éplorés. Mais à peine a-t-on fait deux kilomètres que le corbillard, un 4X4 de marque japonaise, s’arrête. Le chauffeur tente de relancer le moteur sans succès. C’est l’énervement dans les rangs des familles ; les accusations de sorcellerie volent de nouveau très bas entre les camps. Les uns arrachent le cercueil pour tenter de le placer dans un véhicule « civil », d’autres préconisent que les familles prononcent d’abord des incantations libératoires. Chez tous, c’est la stupeur.

D’autant que le chauffeur y va de sa petite sauce : « ces corbillards sont neufs ; rien ne peut leur arriver qui ne soit pas mystique ! » Une manière de dire : c’est aux familles que revient la faute de leur immobilisation soudaine au milieu de la rue. Je m’avance pour inspecter sommairement le véhicule récalcitrant et me rends compte qu’il est vieux et porte l’immatriculation provisoire du ZZ. Autrement dit : il s’agit d’un véhicule d’occasion qui vient de quitter le port de Pointe-Noire. Conclusion simple : moteur encrassé, pompe à huile fatiguée ou dynamo sans puissance, tout est possible. Car les carburateurs, on le sait, n’ont pas été fabriqués pour respecter les morts. Et il n’existe pas de moteur de corbillard.

Lucien Mpama

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