Opinion

  • Le fait du jour

Les « non » historiques de l'Afrique à la France

Lundi 17 Février 2014 - 0:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 112%

Version imprimableEnvoyer par courriel


La commémoration des vingt-cinq ans du Protocole de Brazzaville a ravivé bon nombre de souvenirs sur cette trouvaille pour la paix en Afrique australe. Mais il fallait, lors de la cérémonie organisée le 11 février dans la capitale congolaise, faire preuve d’attention pour se rappeler une similitude entre deux faits majeurs de l’histoire passionnelle qui lie l’Afrique à la France : le « non » opposé en 1986 par Denis Sassou-N’Guesso, président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à la réception du président sud-africain de l’époque de l’apartheid, Pieter Botha, par le Français Jacques Chirac, et le « non » flanqué au général Charles de Gaulle par le dirigeant guinéen, Ahmed Sékou Touré, en 1958, à la veille des indépendances africaines.

Allons-y pas à pas : en 1986, nul ne sait encore si dans les quatre ans à venir, Nelson Mandela, le célèbre prisonnier de Robben Island, qui en a totalisé vingt-sept au bagne et focalisait toutes les attentions du monde en lutte contre le régime honni de Pretoria, sera libéré des geôles de l’apartheid. Il n’empêche que pour les observateurs avertis, la cause de la ségrégation raciale instituée comme modèle de gouvernement en Afrique du Sud était entendue. Beaucoup trop de sang était versé pour perpétuer la domination d’une race par une autre, trop d’injustices avaient fini par mettre au jour, y compris chez les fidèles alliés du régime, l’étendue des atrocités, l’absurdité d’un tel déni de l’humain. Il manquait pourtant, à ce stade, des prises de position fortes et claires, notamment de la part des puissances occidentales qui continuaient par-dessus tout à coopérer avec Pretoria.

C’est ici donc qu’il est possible de parler de courage politique en évoquant la protestation élevée par le président congolais à l’époque où il remplissait son premier mandat à la tête de l’organisation panafricaine : « Je lui avais dit clairement que s’il recevait Botha, avec les mains ensanglantées, on ne prendrait pas part au sommet de Lomé », en fait le sommet réunissant les chefs d’État d’Afrique et de France, qui devait se tenir cette fois dans la capitale togolaise le 13 novembre 1986. Denis Sassou-N’Guesso ne dit pas : « Je ne prendrai pas part, mais on ne prendra pas part. » Ce qui suppose qu’en sa qualité de président de l’OUA il était certain de liguer toute l’Afrique contre la France, son partenaire historique. La menace de boycott fut lancée à Jacques Chirac, qui s’en tint à la relation précieuse entre Paris et les capitales africaines antiapartheid au détriment de la notoriété incertaine qu’il aurait tirée de la réception en grande pompe d’un Pieter Botha solitaire et sur la défensive. Comme quoi, même à un ami il faut parfois savoir dire non.

L’autre « non », le premier du genre, déroulé sur la place publique, avec toutes les conséquences qu’il engendra sur l’avenir du jeune État de Guinée-Conakry est depuis entré dans l’histoire. Le 25 octobre 1958, le général de Gaulle entame une tournée des colonies françaises d’Afrique porteur d’un message appelant à la formation d’une grande communauté qui regrouperait l’empire et ses ex-colonies. La réponse du président du Conseil du gouvernement de la colonie guinéenne est plus qu’un pied de nez à la proposition de l’homme du 18-Juin : « Les Guinéens préfèrent vivre dans la pauvreté libres plutôt que riches dans l’esclavage », déclara Sékou Touré. Le 28 septembre, les Guinéens entérinèrent par un vote massif de 95% la décision de prendre leur indépendance. Ce qui est vrai : les foudres de l’ancienne puissance coloniale s’abattirent sur la Guinée.

Il est aussi vrai qu’en même temps, le général de Gaulle réalisa que l’aspiration à la liberté était commune à tous les territoires africains de l’empire français. Deux ans après le « non » de Sékou Touré, le vent des indépendances souffla sur les anciennes colonies étiquetant l’année 1960 comme celle de toutes les proclamations de souveraineté. On voit aussi que deux ans après le « non » de Denis Sassou-N’Guesso à la réception de Pieter Botha par Jacques Chirac, le Protocole de Brazzaville fut conclu le 13 décembre, suivi des accords de New York, le 22 du même mois, faisant de l’année 1988 celle de l’indépendance de la Namibie et de la délivrance des pays d’Afrique australe. Le point culminant de tout cela étant bien évidemment la libération de Nelson Mandela, le 11 février 1990, couronnée ensuite par la naissance de la nouvelle Afrique du Sud sous le label de la nation arc-en-ciel. La relation Afrique-France est traversée par bon nombre de symboles qui méritent d’être rappelés.

Gankama N'Siah

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Le fait du jour : les derniers articles