Lionel Zinsou : « Il faut regarder l’Afrique pour ce qu’elle est… »Lundi 10 Mars 2014 - 13:15 Banquier d'affaires franco-béninois, président de PAI Partners, Lionel Zinsou fait partie du comité de pilotage chargé de mettre sur pied la fondation franco-africaine, dont la création a été annoncée en décembre dernier par le président français François Hollande, lors du Sommet Afrique-France. Il a répondu aux questions des Dépêches de Brazzaville Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez été missionné, à l’issue du Sommet de l’Élysée, pour piloter une « fondation franco-africaine pour la croissance ». Où en est-on dans l’avancement de ce projet ? Lionel Zinsou : La fondation, qui n’a pas encore de nom, doit devenir un forum de réflexion et d’action sur l’Afrique. Elle rassemblera les entreprises, les autorités publiques, les représentants d’associations d’Afrique et de France avec pour objectif d’accélérer la croissance des échanges humains, en facilitant le repérage, la circulation et la formation des talents. Il s’agit, pour les talents africains, de recevoir un accueil favorable en France et d’intéresser les talents français à développer une expérience africaine en amont de leur carrière, sur le modèle de ce que font les États-Unis avec la French American Foundation ou le Marshall Fund. Ce type de rencontres entre jeunes « leaders » permettent des interactions, renforcent les liens sur des dizaines d’années, favorisent les échanges. Le président François Hollande a affirmé devant le public, le 4 décembre 2013, lors du Forum économique Afrique-France, qu’il voulait favoriser des échanges paritaires et coopératifs entre la France et l’Afrique. Il est clair qu’il y a dans ce domaine une demande et un besoin puisque ce Forum, co-organisé par le Medef et Business Africa, qui regroupe 50 organisations patronales de pays africains, a enregistré 1 300 demandes pour 600 places. Et puis, il y a tout au long de l’année différents rendez-vous tels que l’Africa CEO, forum à Genève de Jeune Afrique et de la BAD, ou New York Africa forum de Libreville. L’équipe du rapport commandé par Pierre Moscovici — que j’ai co-écrit avec notamment l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, Hakim El Karoui, Jean-Michel Sévérino ou encore Tidjane Thiam —, intitulé « Un partenariat pour l’avenir : quinze propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France », travaille à la création de cette fondation. Deux hauts fonctionnaires ont été mis à disposition pour nous assister dans ce travail. Nous devons écrire les statuts, préfigurer les programmes et solliciter les participants. Ce comité va être élargi à des personnalités symboliques, ministres ou chefs d’entreprise. Des gouvernements en seront membres fondateurs, puis nous allons désigner un bureau, une direction générale... L’idée n’est pas de créer une bureaucratie ou une administration parallèle de la coopération entre la France et l’Afrique, mais une association du public et du privé, pour innover, inventer des instruments nouveaux, mais aussi pour labelliser des opérations qui existent déjà, leur donner des moyens supplémentaires, les rendre visibles. Nous créerons également un portail d’information et serons présents sur les réseaux sociaux. L’idée centrale est de faciliter la circulation des idées et des hommes et de mettre en avant des initiatives de terrain. LDB : Allez-vous vous appuyer plus particulièrement sur la diaspora africaine vivant en France ? LZ : Les populations françaises et africaines ont une longue histoire de vie ensemble : il y a des Français ayant vécu en Afrique sur plusieurs générations et il en est de même des Africains en France. C’est un atout culturel, économique, linguistique indéniable pour la France. Moi-même, je suis franco-béninois, avec deux nationalités et je mène des actions des deux côtés au travers de mon entreprise et de ma fondation. Plusieurs autres rapporteurs avec qui je travaille sur cette fondation ont également cette double identité : Hakim El Karoui est franco-tunisien ; Tidiane Thiam, franco-ivoirien, a tenu de hautes responsabilité publiques et privées en Côte d’Ivoire, en France et en Angleterre. LDB : Êtes-vous tenté, vous aussi, d’occuper des responsabilités politiques en Afrique ? LZ : Je n’ai pas l’intention de faire une carrière politique. Personnellement, j’ai refusé d’entrer au gouvernement du Bénin en 2006, mais je suis d’accord pour travailler pour mon pays. Quand on est bi-national, on peut aider son pays en aidant les autorités publiques des deux États. Cela incarne l’idée que les acteurs du secteur privé sont les forces vives d’une Nation. LDB : Vous vous investissez beaucoup par contre dans le monde de l’art. Il est encore assez délaissé par les gouvernements africains alors que c’est un secteur avec des potentialités de retombées économiques. Comment inverser la donne ? LZ : Cela dépend beaucoup des autorités de chaque État. La création contemporaine africaine est d’une qualité exceptionnelle dans tous les domaines et cela est reconnu par tout le monde. Les spectacles reçoivent un accueil considérable dans le monde entier, les arts anciens non occidentaux se développent également sous leur forme muséale. Par exemple, le musée du quai Branly, à Paris, connaît un succès public considérable avec deux millions de visiteurs par an dont beaucoup n’étaient jamais allés dans des musées auparavant, notamment les populations de la diaspora africaine. Il y a outre une reconnaissance publique, le début de vrais succès marchands : des artistes trouvent des cotes, des collectionneurs, des ventes. C’est très important, car il s’agit là d’une version très positive de l’intérêt pour l’Afrique, cette reconnaissance des talents, de l’accomplissement culturel. C’est également important pour l’identité. L’Afrique ne doit pas intérioriser qu’elle est sous-développée en matière culturelle, car dans ce domaine, il n’y a pas de norme ni de standard. C’est important sur le chemin du développement. En plus, effectivement, il y a des retombées économiques : le tourisme, la création, la vente de contenus, l’éducation numérique... L’art, la culture génèrent des flux touristiques notamment au nord de l’Afrique, ainsi qu’en Afrique du Sud et de l’Est. Le tourisme est fréquemment la première source de devises même en Afrique de l’Ouest, au Sénégal. Il existe sur le continent des lieux de création dans des domaines que l’on peut valoriser commercialement par exemple Nollywood. L’e-learning et des formes plus modernes de la culture liées aux nouvelles technologies de l’information et de la communication sont aussi à exploiter. La culture et les technologies de l’information et de la communication sont indissociables du développement économique. Ce n’est pas l’image habituelle que l’on a du développement : on pense aux mines, au pétrole, aux usines, etc. Mais le développement passe également par toute une catégorie de services ; l’éducation est plus importante que les infrastructures routières et la création culturelle amène toutes sortes de retombées incorporelles intangibles. LDB : Qu’est-ce qui motive ce souci d’aider l’Afrique alors que vous avez un parcours très européen en définitive ? LZ : L’Afrique n’a pas besoin de mon aide, mais je dirai que j’ai le souci d’agir pour le continent. Je suis citoyen de la République du Bénin comme de la France. Quand on me demande de donner des idées et d’accompagner des politiques, je le fais. Mais par exemple, lorsque je contribue à un rapport sur la compétitivité de la place financière de la France, je ne considère pas que j’aide la France : c’est une démarche professionnelle normale. Ce qui me guide dans ma carrière professionnelle est le désir de faire des choses utiles à la communauté et non en premier de gagner plus d’argent ou de monter dans la hiérarchie. Je suis un des rares Africains dans le système financier en France et en Europe et cela me donne une certaine capacité de faire plaidoyer, parce que l’on va m’écouter autrement. On m’écoute comme chef d’entreprise de la finance, qui en général parle peu du développement. J’ai fait le plus possible pour que l’Afrique soit regardée pour ce qu’elle est. On avait pris l’habitude de regarder l’Afrique avec des concepts différents des autres, des paradigmes spécifiques, une surestimation des risques et des conflits, une longue tradition de regard dominateur. On occultait totalement la volonté de s‘en sortir et la cohérence des efforts entrepris pour y arriver. On ne voyait que des indicateurs de déclin alors que la situation progressait dans la direction d’une amélioration pour au moins 40 des 54 pays qui composent l’Afrique, en termes de gouvernance, de production de richesse, de démographie, de santé. J’ai utilisé le crédit lié à mes fonctions pour le dire. Et puis, j’ai ma famille au Bénin — deux de mes filles sur trois sont installées au pays — et pour qu’elle soit bien inscrite dans le pays, il faut créer des emplois et, quand on le peut, s’occuper des enfants, de la santé, des écoles, avoir un rôle social et culturel, même très modeste. L’État ne peut pas tout faire. Le devoir de solidarité, que ressentent la diaspora et la nouvelle classe moyenne africaines, est beaucoup plus impérieux que dans les pays riches. Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou Légendes et crédits photo :Lionel Zinsou (© DR). |