Lutte contre la pauvreté : la France expérimente la méthode du prix Nobel Esther Duflo

Mardi 12 Janvier 2021 - 11:58

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L'Etat français va tester le système d'évaluation des programmes de développement prôné par l'économiste Esther Duflo, dans les fonds d’innovation pour la santé, l’éducation et l’environnement.

La France va expérimenter, évaluer et diffuser de nouvelles solutions dans la lutte contre la pauvreté. Elle va s'inspirer de la méthode du prix Nobel d'économie, Esther Duflo, professeur à l'institut de technologie du Massachusetts. Cette dernière sera chargée du nouveau Fonds d'innovation pour le développement(FID) lancé par l'Etat français. L'objectif est de gagner en efficacité dans la lutte contre la pauvreré. Doté de 15 millions d'euros, ce FID est orienté en priorité à l'éducation, la santé et l'environnement. Il tient compte des besoins d'aide actuels des pays du sud, dus à la crise sanitaire de Covid-19.

Esther Duflo plaide pour une approche renouvelée de ces questions, en misant sur l'innovation à petite échelle et sur la collaboration entre les acteurs de terrain - les gouvernements, les ONG et les acteurs privés-,ainsi que les chercheurs.

La méthode est inspirée des essais cliniques. Elle consiste à choisir aléatoirement un échantillon de participants parmi un groupe de bénéficiaires potentiels d'une politique soci-économique ou une action humanitaire. Il s'agit-là de la méthode d’évaluation d’impact par assignation aléatoire. Dans sa leçon inaugurale, prononcée en janvier 2009 au Collège de France, Esther Duflo citait l’exemple d’une recherche menée de 2001 à 2006 au Kenya sur la meilleure stratégie à suivre pour inciter les paysans à adopter l’usage d’engrais. Selon les chiffres, malgré la rentabilité des engrais, seuls 20% à 30% des paysans les utilisent chaque saison. Ce qui constitue une preuve que la "rationalité du marché" ne suffit pas, déduit-elle. Les fermiers attribuent le faible usage des engrais au manque d’argent au moment de la soudure, une "saison de la faim", où les revenus de la récolte précédente sont épuisés. Ce qui bloque tout investissement nouveau.

Esther Duflo « souhaite pratiquer l'économie comme une vraie science humaine. Une science rigoureuse, impartiale, sérieuse. Une science de l'homme, dans toute sa richesse et sa complexité". Des économistes vont observer, à travers une ONG, et une livraison gratuite d'engrais à une centaine de paysans choisis au hasard, une augmentation de l'utilisation des engrais de 30% à 50%, que s'ils achetaient les engrais au prix normal après la récolte. A des fins de comparaisons, une réduction de 50% des prix des engrais a également été offerte à certains fermiers plus tard dans la saison. Cette seconde offre , plus avantageuse que la première, a eu le même impact sur le taux de recours aux engrais. Pour Esther Duflo, cette expérience permet de sortir de l’opposition entre anti-subventions et pro-subventions.

Presque inconnues, il y a vingt ans, les évaluations aléatoires sont de plus en plus courantes aujourd’hui. Pour tester ces théories, il a été décidé d’attribuer aléatoirement des moustiquaires gratuites et à prix subventionné. Le premier résultat de l’expérience est qu’un prix, même faible, décourage fortement l’acquisition de moustiquaires.

La même expérience menée plus tard en Ouganda et à Madagascar a reproduit ces résultats. Ainsi, face à une pratique conceptuelle de l’économie, Esther Duflo propose une méthode expérimentale qui met en exergue des évaluations spécifiques de terrain, tout en restant consciente de ses limites. Elle parle d' "une science humaine finalement généreuse, ambitieuse, engagée, mais une science humaine dans sa fragilité et sa modestie. Prendre ma part dans la construction laborieuse d’un savoir contre la pauvreté est mon travail et ma raison de vivre."

Noël Ndong

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