Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (27)

Jeudi 16 Septembre 2021 - 19:57

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27- Les malheurs du chef Ka’nga Djo’o

Ossè’ndè comme la plupart des villages du sud du pays mbochi situés entre les rivières Alima et Nkeni sorti de la terre comme résultat des dernières migrations mbochi vers la Nkeni. Né dans la boucle formée par la rivière Kommo avant que celle-ci ne se jette dans l’Alima, Ka’nga Opori-la-Yo’ngui fils de Soho Eikassa fonda ce village dans les années 50 du 19è siècle. Son alliance avec le puissant clan des Ossefi de Mbofo lui donna un fils, Ka’nga Djo’o, qui agrandit l’héritage paternel.

Au pays du roi-danseur, Ka’nga Djo’o, virtuose du piano à lamelles, la sanza, et ténor du folklore Embonga acquis rapidement une popularité qui traversa les frontières. N’était-il pas le petit-fils d’Itoua-la-Ngala, le chef du prestigieux clan des Ossefi de Mbofo ? On le surnomma Taureau Enrhumé. Ossè’ndè bénéficia de son aura, multiplia sa population, devint le temple d’Embonga, tout comme Bèlet était le temple du folklore mondo. Dans la langue des poètes, Ossè’ndé fut chanté et glorifié avec des qualificatifs laudateurs. On l’appela le jardin des concubins.

A l’heure du bouleversement provoqué par l’invasion française, Ka’nga Djo’o se retrouva parmi les membres de la noblesse mbochi qui pactisèrent avec le nouveau pouvoir. En novembre 1912, il ramena d’Ossèlè, nouveau chef-lieu de la subdivision de l’Alima, l’écharpe de commandement, le singa en qualité de chef de Terre. Il ne s’arrêta pas à ce fait d’armes. Ayant pressenti l’illégitimité d’un pouvoir conféré par des étrangers, Ka’nga Djo’o organisa son élévation à la dignité de Nga’ngalet, seigneur du domaine Akongo. Il unifia ainsi le pouvoir légal et temporel conféré par les nouveaux maîtres du pays avec le pouvoir terrien, inamovible et légitime aux yeux de ses compatriotes.

Ka’nga Djo’o eut plusieurs enfants. Il les associa très tôt à la gestion du pouvoir. Son premier fils Okandzé Otteily exerça la charge de régent comme chef de terre ; tandis qu’Ondèlè Ippa’a, son second fils devait revêtir la toge   traditionnelle de Nga’ngalet, le chef coutumier seigneur du domaine Akongo. Mais ses alliés français devaient cruellement le désillusionner en sacrifiant ses deux espoirs au goulag du chemin de fer.

Au moment de l’arrivée des filles de Bèlet à la fin du mois d’avril, en 1925, Ossè’ndè était rattaché à la subdivision de la Nkeni avec Gamboma comme chef-lieu. Son territoire comprenait alors une bonne partie du pays bangangoulou. La cité hébergeait une section de miliciens logés dans des baraques implantées sur un terrain clôturé en biais du village. C’est là où Mwana Okwèmet, Nia’ndinga et leur suite furent reçues dans une ambiance festive préparée en leur honneur. C’est là aussi où les deux captives se retrouvèrent pour la première fois en face des deux hommes qui ordonnèrent leur enlèvement. Gbakoyo et Tabba en grand uniforme de fête, bouquets de fleurs en main attendaient fébriles les deux demoiselles au milieu d’un vacarme fait de chants, de clairons et de roulement de tambour. Toute la journée et jusque tard dans la nuit, le vin coula à flots. Les miliciens et les badauds accourus du village célébrèrent ce qu’ils appelèrent par le mariage des deux Anna. Un pseudo-mariage célébré en l’absence des parents des mariées !

 

Le séjour des filles de Bèlet à Ossè’ndè ne fut pas long. Des questions liées aux objectifs des colons assombrirent les relations entre Ka’nga Djo’o et ses alliés. En 1925, le gouverneur Raphaël Antonetti, obtus, tatillon et arriviste exigea encore et toujours plus de mains valides pour son monstrueux chantier Congo-Océan. A Ossè’ndè, la déportation vers ce chantier tendit la relation entre le commanda et Ka’nga le chef du  singa. Ses compatriotes refusaient d’être réquisitionnés pour aller au goulag alléguant qu’ils étaient tous des parents du chef de terre Ka’nga Djo’o.

Les quotas des déportés en provenance d’Ossè’ndè rendaient furieux le commanda qui s’écriait : « Ka’nga ne nous facilite pas la tâche ! Ka’nga doit être puni ! » Un jour, informé de la présence à Gamboma des miliciens du chef d’Ossè’ndè, le commanda somma l’un d’eux, le milicien Ibara Mbondjo, de lui donner les noms des fils du chef Ka’nga.

Quelles ne furent l’émotion et l’indignation à Ossè’ndè lorsque sur la liste des déportés déclamée sur la place publique, on égrena les noms d’Okandzé Otteily, Ondèlè Ippa’a et Ka’nga Ona’nga fils et neveu de Taureau Enrhumé ! Tous les trois étaient des piliers de sa chefferie qui exerçaient déjà le pouvoir à la place du père et oncle vieillissant. D’un optimisme à toute épreuve, Okandzé réchauffa les cœurs vacillants des réquisitionnés et promit de les ramener tous sains et saufs à la maison. Ils firent le voyage de Gamboma, passèrent la pesée et l’examen de la denture. Une année, des mois, puis un jour Ossè’ndè, inconsolable fut plongé dans le deuil. Ka’nga Ona’nga revint seul, épave humaine, avec la mauvaise nouvelle. Ses deux frères Okandzé et Ondèlè n’étaient plus. On les avait ensevelis au pays de la Machine, dans un endroit appelé Mont Mbello.

 

Ce coup ne fut pas le dernier que le vieux Taureau Enrhumé reçut des hommes dont il avait cautionné la présence. La perception de l’impôt lui apporta d’autres déconvenues. Cette taxe était perçue à cette époque en nature. Les hommes s’acquittaient de cet impôt en s’en prenant aux hévéas dont le liquide laiteux et collant était recherché par les colons. Les femmes étaient sommées de fournir des corbeilles de palmistes pour payer cette taxe. Elles passaient des journées entières à rechercher cette denrée.

Peu après le départ au Congo-Océan de ses fils, l’une des femmes du vieux chef fut sévèrement accrochée par Tabba. Sa corbeille de palmistes était inférieure à la norme du quota exigé. La femme appela au secours. Tabba fut renversé, piétiné ; cette colère se transforma en émeute contre les miliciens dont le campement fut incendié.

A Gamboma, le commanda rejeta une nouvelle fois la faute de l’incident sur Ka’nga Djo’o. L’écharpe de commandement lui fut retirée et la chefferie d’Ossè’ndè fut supprimée. (à suivre)

 

 

Ikkia Ondai Akiera

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