Numéro spécial Francophonie. « Il est important que tous les acteurs soient sensibilisés à la contribution réelle de la culture au développement »

Vendredi 14 Novembre 2014 - 5:45

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Youma Fall est directrice de la Diversité et du Développement culturels à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Elle œuvre pour que l’organisation accompagne les créateurs et fasse lire, voir et entendre ce que le génie francophone a de plus valorisant. Entretien

Les Dépêches de Brazzaville : La démographie du continent seule ne suffira pas à garantir le développement de la francophonie, il faut également que le français soit attractif pour les jeunes Africains. Quelle est la pertinence de la francophonie pour la jeunesse africaine ?
Youma Fall : En tant que directrice de la diversité et du développement culturels à l’OIF, je ne peux aborder la question que sous l’angle des contenus. En effet, la production de contenus en français accompagne de manière indispensable la promotion de la langue française. Le français est une langue véhicule de culture, et les expressions culturelles permettent de promouvoir les langues. Le français n’a de sens que quand les films ou les documentaires de télévision sont réalisés en français, quand le contenu des médias de masse ou internet est en français, quand les livres sont écrits en français. L’OIF accompagne la production de contenu pour les télévisions, de films, de musique, de spectacles de théâtre. La production de contenus à travers les médias en tant qu’industrie et en tant que support de promotion constitue également un support de promotion de la langue française.

Les industries culturelles et créatives sont un secteur en croissance, ainsi que l’économie numérique qui pèsera 160 milliards de dollars dans dix ans. Cela représente un formidable réservoir d’emploi pour les jeunes francophones, notamment africains. Quel accompagnement offre l’OIF dans la mise en place de politiques idoines dans ce domaine ?
Concernant le secteur spécifique des industries culturelles et créatives, notre politique est d’accompagner tous les acteurs de la chaîne de production et de diffusion : d’abord les États dans la définition de leurs politiques sectorielles, ensuite les créateurs et les entrepreneurs culturels pour une création de qualité et en abondance et dans la diffusion des œuvres et la mise en marché, et enfin les publics à travers l’accès aux contenus. En ce qui concerne les États, nous accompagnons la création d’outils d’aide à la décision et organisons des rencontres pour une meilleure compréhension des enjeux et une plus grande maîtrise des problématiques. Nous accompagnons également les États qui en expriment le besoin dans la définition de leurs stratégies nationales et de leur politique sectorielle. Je peux citer à titre d’exemple la création d’un cadre juridique (droit d’auteur et droits voisins) ou dans la définition d’une politique de financement de la culture, de formation. Relativement aux créateurs ou aux entrepreneurs culturels, nous les soutenons par le biais de la formation pour une création de qualité et abondante, pour leur professionnalisation, ce qui est crucial. Pour que les contenus en français puissent être appréciés et qu’ils puissent exister sur la scène internationale, il faut qu’ils soient de qualité. La formation est primordiale dans tous les domaines de la créativité pour une création en phase avec l’évolution du monde. Elle l’est aussi pour le personnel de renfort, les intermédiaires culturels et les médias qui assurent l’interface entre la création et le marché, le public et le créateur. Enfin, nous accompagnons également la diffusion de ces créations notamment à travers le numérique. Cette technologie a tendance à faire que le global et le local se confondent. Elle permet une création contemporaine, mais également à l’imaginaire des peuples, à notre patrimoine immatériel d’être vus, valorisés et publicisés. Nous proposons un encadrement de l’espace de réception à travers l’accès aux produits culturels, par exemple le produit livre grâce notamment aux centres de lecture et d’animation culturelle.

L’exportation des produits culturels est un facteur de rayonnement de la Francophonie. Un plan est-il envisagé pour l’émergence en Afrique francophone d’un pôle de production cinématographique équivalent de Nollywood ?
Nous nous réjouissons de Nollywood, car c’est aussi l’image d’une Afrique en développement, mais nous accompagnons la production audiovisuelle francophone du Sud à travers un fonds. En effet, à l’OIF nous disposons d’un fonds de promotion de la cinématographie et de l’audiovisuel du sud. Ce fonds accompagne l’écriture de scénarios, la production, la distribution, la mise en marché de la production francophone ainsi que les espaces de célébration de cette cinématographie, tels que le Fespaco ou le festival de Carthage. Nous avons également un programme de promotion des auteurs à travers le prix des Cinq Continents de la Francophonie pour une production littéraire de qualité en phase avec l’évolution des modes de consommation. Cela implique en amont une formation de qualité à tous les métiers et techniques. L’objectif est d’avoir une production qui parle à l’Africain, mais pourquoi pas au Péruvien ou bien au Brésilien. Je serai bien contente si un jour une Maria de Brasilia pouvait s’identifier à une Fatoumata, tout comme aujourd’hui la femme africaine se réfère aux telenovelas, car elle s’identifie à ces personnages.

La culture est encore souvent le parent pauvre des politiques en Afrique. Comment la valoriser en montrant le lien entre culture et développement ?
La prise en compte de la culture dans le développement est confrontée a un problème majeur : les acteurs culturels en ont souvent une vision très idéologique ou anthropologique. Les pouvoirs publics, notamment dans les pays du Sud, en ont une vision festive, les économistes en ont une vision budgétivore. Ces trois choses ne militent pas pour une réelle prise en compte de la contribution de la culture dans les stratégies nationales de planification du développement. Il est important que tous les acteurs soient sensibilisés à la contribution réelle de la culture au développement. Il s’agit là de prendre en compte les différentes valeurs de développement dans le domaine de la culture. Il s’agit notamment de la valeur de production, la valeur de territoire, la valeur sociale, la valeur d’activité… Cela suppose de prendre en compte les différentes dimensions de la culture, à savoir le produit créatif qui a un impact réel sur l’économie créative, mais aussi les valeurs, la richesse qui constituent le soubassement même de la diversité des expressions culturelle. J’aime beaucoup cette définition qui dit que la culture est à la société ce que la personnalité est à l’individu. Il est également important de prendre en compte la culture dans les modes de vie et de consommation. Si nous prenons comme exemple la scolarisation des filles, c’est un facteur éminemment culturel qui fait que la fille est présente ou pas à l’école. Si l’on prend la protection de l’environnement, c’est la encore la culture qui fait que les bois et les forêts sacrés sont préservés dans certains pays. Pour finir, disons que l’accès aux contenus et leur appropriation par les populations sont essentiels, de même que le dialogue des cultures pour une meilleure connaissance de l’autre. On parle beaucoup de tolérance, de dialogue des cultures, mais quand on ne se connaît pas on ne peut pas partager ou échanger.

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou