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Pas épris de guerre mondiale

Samedi 17 Février 2024 - 18:11

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Interview de l’année, interview du mois, interview attendue, interview-événement ; c’est du « lourd ! ». Les commentaires ont été nombreux et aux tons les plus variés sur l’entretien que le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a accordé le 6 février au journaliste-vedette américain, Tucker Carlson, présenté par certains éditorialistes en Europe et outre-Atlantique comme un homme « controversé ». Pour un aussi long échange- deux heures au moins-, chacun de ceux qui l’ont relayé a essayé de retenir quelques morceaux « pertinents ».

Les uns se sont appesantis sur le côté martial du propos de l’interlocuteur de Carlson, quand le chef du Kremlin assène que la Russie ne peut pas perdre la guerre en Ukraine : « À mon avis, c'est impossible par définition. Ça n'arrivera jamais ! », a-t-il répété, ajoutant que « ceux qui sont au pouvoir en Occident en sont également conscients ». Il n’est pas exclu qu’une telle approche du conflit de la part du dirigeant russe soit considérée par d’autres comme de la suffisance et suscite du ressentiment, de la détermination à ne rien lâcher dans l’aide qu'ils apportent à l’Ukraine. Comme pour dire : « On continue la guerre jusqu’au dernier combattant ».

Après deux années de conflit et des pertes lourdes de part et d’autre en matériel comme en vies humaines, quel discours voudrait-on entendre d’un des belligérants soucieux de réconforter les siens ? Certainement pas « nous faiblissons ». En tout état de cause, la coalition en face, ou ce qui en tient lieu, confirme qu’il est seul face à plusieurs. C’est à peu près l’enseignement que tout observateur distant essaye de tirer au regard des mobilisations que l’on a pu voir depuis le déclenchement du conflit, le 24 février 2022.

La question primordiale, parmi d’autres, posée par le journaliste américain au chef de l’Etat russe est de savoir si, à partir du conflit en Ukraine, la Russie n’est pas tentée de s’attaquer à un autre voisin, la Pologne en l’occurrence, avec laquelle l’inimitié est « historique » et par conséquent entrer en belligérance contre le camp occidental qui déboucherait sur une guerre mondiale dévastatrice. La réponse de Vladimir Poutine à cette éventualité est non, assortie d’une nuance : « Dans un seul cas : s’il y a une attaque contre la Russie depuis la Pologne ».

Et l’hypothèse d’une guerre nucléaire à l’initiative de Moscou, sous-tendue par des revendications territoriales au-delà des frontières actuelles de la Fédération constituée après l’effondrement de l’ex-Union soviétique en 1991 ?  Là aussi le président russe déclare n’y voir aucun intérêt : « Cela contredit le bon sens de se laisser entraîner dans une sorte de guerre mondiale. Et une guerre mondiale amènerait l’humanité tout entière au bord de la destruction », expose-t-il en se disant prêt à des négociations pour sortir du conflit. En gros, il n’est pas adepte d’une guerre d’ampleur mondiale.  

Parlant des Etats-Unis, notamment de leur monnaie, le dollar, le chef du Kremlin invoque une puissance reconnue par tous comme telle, mais qui n’a pas souvent saisi les opportunités qui se présentent à elle pour traiter ses ennemis éventuels, et même ses partenaires avec considération et équité : « Le dollar est la base de la puissance des Etats-Unis. Tout le monde le comprend très bien… Les dirigeants politiques ont décidé d’utiliser le dollar comme un outil politique, mais ils ont porté un coup à cette puissance américaine », résume Vladimir Poutine au sujet des sanctions qui frappent son pays.

Mais si sur le champ de bataille les armes tonnent toujours entre la Russie et l’Ukraine appuyée par ses alliés, de l’autre côté, Moscou et Washington ne semblent pas avoir rompu tout dialogue. Les deux puissances ont trop de chats communs à fouetter qu’il leur est impossible quasiment de ne pas laisser les fenêtres du dialogue entrouvertes. Vladimir Poutine déclare, par exemple, que les deux pays continuent de se parler par le biais de leurs services spéciaux.

Candidat à sa propre succession aux élections de mars prochain en Russie, il s’abstient de penser qu’un changement de locataire à la Maison-Blanche (les Etats-Unis choisiront leur président à la fin de l’année) améliorerait tout d’un coup le cours des relations américano-russes. Ce pessimisme ambiant ne signifie pas non plus que Russes et Américains seraient prêts à en découdre à tout moment. L’on sait néanmoins qu’à la face du monde, Moscou et Washington détiennent les clés de la guerre et de la paix. Cette position privilégiée devait les inciter à se parler davantage et franchement.

Gankama N'Siah

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Édition Quotidienne (DB)

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