Routes de la soie/ Paul Obambi : "Quand les Africains signent avec les Chinois, ils le font en toute connaissance de cause"

Jeudi 30 Novembre 2017 - 18:33

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Intervenant du forum sur l'investissement Chine-Afrique CAIF 2017 à Marrakech, le président de la Chambre de Commerce et d'industrie de Brazzaville, patron de Sapro Group, Paul Obambi, décrypte pour Les Dépêches de Brazzaville sa vision d'une relation équilibrée Chine/Afrique. 

Les Dépêches de Brazzaville (LDB): Paul Obambi, vous êtes intervenu au cours du forum China/Africa Investment. Que pensez-vous de cette rencontre ?

Paul Obambi (PO): Mon point de vue général est très positif. Le forum a posé le cadre de discussions adaptées aux attentes des chefs d'entreprises chinois et africains, institutionnels et membres de gouvernement d'un certain nombre de pays africains. J'aurais été plus positif encore dans mon observation si le gouvernement du Congo avait été présent alors qu'il travaille beaucoup avec la Chine. Son absence est regrettable ici à Marrakech où les débats ont été riches d'enseignements avec, d'un côté, la Chine, première usine mondiale en quête de concrétisations de projets, et de l'autre, l'Afrique qui entre dans une nouvelle ère d'industrialisation et a des besoins pour asseoir son développement.

L.D.B.: Des inquiétudes sont parfois exprimées quant à une certaine opacité des contrats avec les Chinois. Cette perception vous paraît juste ?

P.O.: Nous ne sommes pas tout à fait dans le rituel classique des relations entre l'Afrique et l'Europe, par exemple. Il s'agit seulement d'un changement de méthode. Mais je ne suis pas inquiet. La Chine a un discours tout à fait clair et quand les Africains signent avec les Chinois, ils le font en toute connaissance de cause, dans une relation gagnant/gagnant. Maintenant, à chacune des parties de savoir ce qu'elle gagne. S'il y a opacité, c'est parce que les parties l'ont décidé. Comme partout ailleurs, certains contrats sont confidentiels, d'autres grands publics et à la disposition de tous.

Si avec l'Europe nous devons passer par des appels d'offres ouverts, avec un cahier de charges connu et publié, on peut aussi laisser le droit à d'autres opérateurs de faire un gré à gré comme l'Europe l'a fait en d'autres circonstances avec les pays du Moyen-Orient. Le tout est que, dans ces accords, il y ait un minimum de transparence et d'équilibre pour que les pays africains, et le mien en particulier, trouvent leur compte. Maintenant, si les parties décident de rendre leur contrat confidentiel, c'est leur droit.

L.D.B.: Il a été évoqué cette idée d'une Afrique de 54 pays, parfois de petites dimensions, en face d'une seule et vaste nation qui est la Chine. L'équilibre devrait-il passer par des accords avec des régions plutôt que des pays ?

P.O.: Ce gigantesque pays que forme la Chine est composé de plusieurs régions et provinces, mais il vient en bloc. Dans ces négociations, l'Afrique a tout intérêt à venir groupée. C'est là qu'elle présente un potentiel bien meilleur. Si elle vient individuellement, la Chine n'en saisira que les opportunités positives et ne s'intéressera pas au reste. Deux types de relations peuvent néanmoins coexister. Une relation bilatérale avec les sous-régions comme la Cémac, la CEEAC, etc. Et une relation continentale et concertée pour que les ressources amenées par l'empire du Milieu soient utilisées de manière cohérente sur tout le continent. Si tous les pays africains font la même chose, le marché deviendra concurrentiel avec le risque de se briser. Cette stratégie ne permettra pas de bâtir le marché intérieur africain.

L.D.B.: Vous évoquiez le fer, un exemple très concret de cette réalité.

P.O.: L'exemple du fer peut illustrer, en effet, ce principe. L'extraction de minerai suppose des infrastructures: énergie, transport, logistique. Si chacun de nous avance individuellement, nous ne gagnerons que des parts de marché peu significatives. Tandis qu'un conglomérat détiendra une dimension stratégique qui ira jusqu'à influer sur le marché du fer. Dans la zone Cémac, le Gabon, le Cameroun, le Congo ont un potentiel en matière de fer. Un certain nombre d'infrastructures peuvent être conçues en commun. Cette volonté étatique régionale existe au plan théorique, mais il faudrait que les acteurs du secteur s'y mettent.

L.D.B.: Quel rôle les Etats peuvent-ils jouer dans cette relation Chine/Afrique ?
P.O.: Les Etats peuvent accompagner les projets sur un plan réglementaire avec la libre circulation des produits, des investissements ciblés dans les infrastructures pour exploiter le minerai comme le chemin de fer ou les sources d'énergie. Tandis que les privés font le reste: production, marketing, etc. Dans un secteur comme celui du fer, il faut un partenariat public-privé. Les zones économiques spéciales (ZES) sont aussi un atout. Ce système a l'avantage de mettre les entreprises à l'abri de tout ce que les investisseurs nous reprochent comme le risque sécuritaire ou les lenteurs administratives. La sécurité des investissements y est garantie, des complémentarités avec l'administration et les opérateurs du secteur, les infrastructures adéquates, etc. Ce modèle devrait s'implanter davantage en Afrique. Avec la garantie de respect des règles du jeu, notamment des exonérations.

L.D.B.: Quels sont les atouts du continent ?

P.O.: L'Afrique est le marché du futur avec deux milliards de consommateurs à l'horizon 2050. Et une jeunesse disponible qui, avec une volonté publique, peut être préparée et éduquée. J'ai beaucoup insisté sur cet aspect. Quand la Chine, qui a déjà créé son marché intérieur, délocalise en Afrique, elle doit trouver une main d'œuvre éduquée et formée. Sinon, nous verrons encore un bataillon de Chinois accompagner le matériel, s'implanter dans les ZES et dans les usines.

Les pouvoirs publics ont exprimé leur volonté d'améliorer le climat des affaires dans les conditions définies par la Banque mondiale, de lutter contre les abus et améliorer la gouvernance. Si nous ne le faisons pas, les investisseurs chinois iront ailleurs.

 

Propos recueillis par Bénédicte de Capèle

Légendes et crédits photo : 

Paul Obambi, président de la Chambre de Commerce et d'industrie de Brazzaville, patron de Sapro Group, livre ses impressions sur le CAIF 2017 (@Adiac )

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