Sahel : la faillite des États mise à nu par leurs propres arsenauxMercredi 4 Juin 2025 - 23:30 Dans un rapport glaçant publié récemment par le Conflict Armament Research (CAR), une vérité brutale émerge : une arme sur cinq entre les mains des groupes djihadistes au Sahel provient directement des arsenaux nationaux. Les chiffres, issus de près d’une décennie de traçage, sont plus qu’un constat technique : ils témoignent d’un effondrement systémique de la sécurité étatique dans l’une des régions les plus instables du monde. Les États sahéliens, fournisseurs involontaires du terrorisme Au Mali, au Burkina Faso et au Niger - trois pays aujourd’hui gouvernés par des juntes militaires-, les postes de sécurité tombent régulièrement aux mains des groupes armés. Chaque attaque réussie alimente une boucle macabre : les terroristes capturent des stocks d’armes, les utilisent pour renforcer leur puissance de feu, et lancent ensuite de nouvelles attaques encore plus meurtrières. Selon le CAR, cette spirale a permis aux groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique de se constituer des arsenaux dignes de forces régulières, en grande partie à partir de matériel issu de ces mêmes forces. La responsabilité politique et militaire est accablante : les États concernés ne sont pas seulement incapables de protéger leur population, ils sont désormais les fournisseurs involontaires de leur propre déstabilisation. Le terme "négligence" paraît ici bien faible ; il s'agit d'une véritable faillite de commandement et de sécurisation des biens stratégiques publics. Une critique sévère de la gouvernance militaire Les régimes militaires sahéliens - issus des coups d’État successifs de 2020 à 2023 - se sont arrogé le pouvoir au nom de la sécurité. Mais leur incapacité à protéger leurs propres dépôts d’armes révèle un paradoxe sinistre : plus ils s’installent au pouvoir, plus l'insécurité s'aggrave. Loin d’éradiquer le terrorisme, ces juntes semblent accélérer la désintégration des États, fournissant indirectement les moyens militaires à leurs ennemis. Pire encore, l’absence de mécanismes rigoureux de suivi des équipements militaires illustre un amateurisme préoccupant dans la gestion des ressources de défense. À quoi servent les milliards dépensés en matériel militaire si les forces régulières se font dépouiller, attaque après attaque, dans un silence stratégique et diplomatique consternant ? Un aveu d’échec international aussi Le rapport note également l'absence de chaînes d’approvisionnement internationales actives : les groupes armés ne reçoivent pas d’armes sophistiquées via des réseaux externes, comme cela a pu être le cas au Moyen-Orient. Cela signifie que la source principale d’armement est locale - et donc étatique. C’est un constat encore plus alarmant : le problème ne vient pas de l'extérieur, mais bien de l’intérieur. Cela remet également en question l’efficacité de l’aide internationale à la sécurisation des frontières et des stocks d’armes. Depuis une décennie, les Nations unies, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest et les partenaires occidentaux ont investi des ressources considérables pour tenter de structurer les armées locales. Le résultat ? Un arsenal militaire désormais utilisé contre les civils dans des attaques terroristes. Conséquences stratégiques et perspectives sombres Ce rapport doit alerter non seulement les États concernés, mais aussi leurs partenaires internationaux. Continuer à financer des armées dysfonctionnelles, infiltrables, et incapables de protéger leurs propres bases, revient à nourrir indirectement l’insécurité. Sans réforme profonde de la gouvernance militaire, sans mécanismes de reddition de comptes, et sans transparence sur la chaîne logistique des armes, aucune victoire contre le terrorisme n’est envisageable. Le cercle vicieux décrit par les chercheurs - plus d’attaques, plus d’armes capturées, donc plus d’attaques - condamne à moyen terme toute perspective de stabilisation régionale. Une impasse sécuritaire aggravée par l’irresponsabilité des États Le fait que 20 % des armes des djihadistes proviennent des armées nationales n’est pas qu’un chiffre : c’est un symbole tragique de la faillite étatique au Sahel. Cela révèle une perte de contrôle dramatique sur l’appareil de défense, et appelle à une refondation urgente de la stratégie sécuritaire régionale, sous peine de voir la région sombrer définitivement dans le chaos armé. Sans changement radical, les États du Sahel ne seront plus seulement en guerre contre le terrorisme - ils seront devenus, à leur insu, ses principaux fournisseurs. Noël Ndong Notification:Non |