Union africaine : redonner à l'Afrique sa vraie taille sur les cartes du mondeLundi 25 Août 2025 - 15:08 En soutenant officiellement la campagne "Correct the Map", l’Union africaine (UA) ouvre un front symbolique et stratégique contre une cartographie héritée de l’ère coloniale. À travers le rejet de la projection Mercator, le continent revendique sa juste proportion - et sa souveraineté narrative. Dans une démarche inédite à forte portée diplomatique, l’Union africaine (UA) s’est jointe à la campagne "Correct the Map", qui milite pour l’abandon de la projection Mercator au profit de la carte Equal Earth, plus fidèle aux dimensions réelles des continents. Derrière ce débat cartographique se joue une bataille de perception globale, où la représentation faussée des espaces produit des effets durables sur l’imaginaire, les rapports de force géopolitiques et l’influence culturelle. « Ce n’est pas qu’une question de géographie. C’est une question de pouvoir, de dignité et de souveraineté symbolique », déclare Selma Malika Haddadi, vice-présidente de la Commission de l’UA. « Le Mercator réduit l’Afrique à une périphérie, alors qu’elle est au centre des enjeux du XXIe siècle », a-t-elle ajouté. Une distorsion héritée du XVIᵉ siècle Conçue en 1569 par le cartographe flamand Gerardus Mercator, la carte qui porte son nom a été optimisée pour la navigation maritime. Mais sa projection cylindrique déforme les surfaces en agrandissant les zones proches des pôles et en rapetissant celles situées autour de l’équateur. Résultat : le Groenland apparaît aussi grand que l’Afrique, alors qu’en réalité, le continent africain est 14 fois plus vaste. Selon Fara Ndiaye, cofondatrice de Speak Up Africa, cette distorsion n’est pas neutre : « Elle façonne les imaginaires. Lorsqu’un enfant africain voit son continent diminué, cela affecte son rapport à l’identité, à la fierté et à l’histoire ». Une projection plus équitable : Equal Earth Face à cette anomalie, des géographes américains ont proposé en 2018 la projection Equal Earth, pseudo-cylindrique, respectueuse des surfaces et conçue spécifiquement pour un usage éducatif et institutionnel. Elle est aujourd’hui adoptée par plusieurs institutions internationales, dont la Banque mondiale, qui l’utilise dans ses outils de visualisation. La campagne "Correct the Map", portée par des organisations africaines comme Africa No Filter et Speak Up Africa, appelle à l’adoption généralisée d’Equal Earth dans les programmes scolaires, les atlas officiels, les systèmes d’information géographique et les outils numériques comme Google Maps, qui utilise encore par défaut Mercator sur mobile. Un enjeu stratégique de soft power Ce changement de projection dépasse la simple cartographie. Il s’inscrit dans un mouvement de réappropriation du récit africain, aux côtés des débats sur les restitutions culturelles, les réparations coloniales, ou encore la réforme de la gouvernance mondiale (Conseil de sécurité de l’ONU, FMI, Banque mondiale...). « Il s’agit de redonner à l’Afrique la place qui lui revient sur la carte du monde - au sens propre comme au figuré », résume Moky Makura, directrice d’Africa No Filter. Dans un contexte de réalignement des puissances, où le continent est redevenu un champ de rivalités entre Chine, Russie, Occident et pays du Golfe, l’Union africaine cherche à renforcer sa voix diplomatique. Corriger la carte, c’est aussi rappeler la centralité stratégique d’un continent qui comptera près de 2,5 milliards d’habitants en 2050, riche en ressources critiques, et au cœur des chaînes de valeur de la transition énergétique. Une revendication soutenue au-delà de l’Afrique La demande de "Correct the Map" est désormais examinée par l’UN-GGIM, le Comité d’experts de l’ONU sur la gestion globale de l’information géospatiale. Des ONG, universitaires et décideurs en Europe et aux États-Unis commencent à relayer cet appel à une "décolonisation des cartes". Ce mouvement souligne que la représentation du monde est un enjeu de pouvoir autant que de connaissance. Et que, dans une ère postcoloniale, la forme même de la carte peut servir - ou trahir - la quête de justice géopolitique. Noël Ndong Notification:Non |