Vatican : neuf mois d’un pape neuf

Lundi 23 Décembre 2013 - 17:15

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L’année qui s’achève est celle qui a vu la présence, historique, de deux papes vivants au Vatican. De l’inédit dans la continuité ?

Il n’y a que quelques fidèles catholiques, des Argentins pour l’essentiel, qui surent reconnaître du premier coup l’homme qui s’encadrait à la loggia, à la fin du conclave de mars, et présenté comme le futur nouveau pape. Pour nombre de personnes en effet, le cardinal Giorgio Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, était un parfait inconnu. Mais bien vite, il allait s’imposer par son style et des marques d’une démarche nouvelle au point de déconcerter et même de susciter déjà quelques résistances.

Prêtre latino-américain né de parents italiens, mais parfaitement argentin dans l’âme ; jésuite ayant choisi le nom de François : ce pape un peu italien et un peu étranger arrivait déjà chargé de symboles. Il allait accentuer le mouvement en affichant sa volonté de prendre en main « une Église pauvre, pour les pauvres », en fustigeant la mondanité des prêtres ou leur goût à se bousculer pour délaisser les paroisses et venir travailler au Vatican en fonctionnaires entretenus.

Ce style, ses propos et une démarche qui fait volontiers fi des protocoles et même des usages (il continue de résider à la Maison Sainte-Marthe et non dans ses appartements pontificaux, il porte ses propres souliers et non les mocassins rouges des papes !) ont insufflé un vent de renouveau au sein de l’Église. Le pape François suscite l’enthousiasme des foules qui applaudissent autant le fait que sa discrète voiture se coule dans le trafic, s’arrêtant aux feux rouges et se passant de motos d’escorte avec sirènes hurlantes, que le « Bon appétit à tous ! » qui termine ses angélus du dimanche.

Mais l’enthousiasme des petites gens n’est pas sans bousculer les positions établies et irriter les caciques. D’ailleurs ceux-ci n’hésitent plus à attaquer ouvertement le souverain pontife sur des questions de doctrine, dénonçant une interprétation trop personnelle des principes qui sanctionnent quelques graves questions de société que ses prédécesseurs ont classées dans le rang des déviances sociales : avortement, homosexualité, remariage des divorcés, etc. Ils y voient une rupture profonde avec le passé, même si le souverain pontife s’est jusqu’ici gardé de dire quoi que ce soit qui signifie abandon des dogmes !

Ainsi, par exemple, un archevêque américain, le cardinal Raymond Burke, ancien évêque de Saint-Louis aujourd’hui en charge – au Vatican ! – de la Signature apostolique (garde des Sceaux) n’a pas récemment caché son irritation devant le vent des réformes qui souffle dans les allées de la curie romaine. « On a un peu l’impression, ou alors c’est interprété dans ce sens par les médias, que le pape pense que nous parlons trop de l’avortement ou de l’intégrité du mariage entre un homme et une femme. Mais nous ne parlerons jamais assez de ces questions ! », a-t-il martelé.

Divergence d’opinions qui n’a trouvé dans l’occasion de cette interview à la télévision que l’exutoire cherché ? Sans doute puisque, sans surprise, le pape François vient de brutalement écarter ce tonitruant cette semaine pour le remplacer par un autre Américain jugé plus modéré, William Wuerl. Le pape François a engagé une opération de nettoyage des écuries d’Augias. Pour lui, un prêtre est d’abord appelé à plonger les mains dans le cambouis de l’activité en paroisse et non à se manucurer les ongles ou soigner sa soutane et faire le délicat devant les cas de détresse humaine. L’évêque doit être pasteur avant d’être gardien de la doctrine.

Réformateur, mais attentif aussi à maintenir une cohésion de foi et de pensée avec les traditions de l’Église catholique. Le secrétaire particulier du pape émérite Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein, a ainsi coupé court à des rumeurs nées en Allemagne et présentant l’actuel pontife comme s’apprêtant à accepter l’ordination de femmes diaconesses. « L’enthousiasme pourrait rester en travers de la gorge des enthousiastes », a-t-il dit, avec un sens de la formule qui n’a pas fait que des heureux en Allemagne. Il a par ailleurs souligné qu’il n’y avait pas rupture théologique entre François et Benoît XVI. Donc : pas de communion aux divorcés remariés, comme l’ont annoncé des recteurs d’universités catholiques en Allemagne, le pays décidément de toutes les réformes.

Il n’empêche : le pape parle et s’adresse au peuple ; il ne lit pas, ne pontifie pas. Et déjà des vaticanistes l’accusent de trop parler, précisément ; de s’adonner à une communication jugée désordonnée, qui ferait peu de cas de certains rituels. Le début de culte de la personnalité dont il est l’objet à son corps défendant fait également problème. La concentration sur sa personne ferait obstacle à la transmission du message, écrivent certains de ces vaticanistes.

Lucien Mpama