L’Afrique centrale entre dépendance et puissance : le test de l’après-Agoa

Mardi 11 Novembre 2025 - 10:47

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L’expiration de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), principal accord commercial préférentiel entre Washington et l’Afrique, le 30 septembre 2025, dépasse la seule question des exportations. Elle interroge la souveraineté économique du continent et la place de l’Afrique centrale dans les recompositions géostratégiques à venir. 

Pendant vingt-cinq ans, l’Agoa a permis à 35 pays africains d’exporter vers les États-Unis sans droits de douane, donnant naissance à des filières régionales : textile au Kenya, automobile en Afrique du Sud, produits de la mer à Maurice. Mais en Afrique centrale, le dispositif a eu un impact limité. Faute d’infrastructures adaptées et de politique industrielle coordonnée, les pays de la région – Cameroun, Gabon, Congo, RDC – n’ont capté qu’une fraction du potentiel de l’accord. Selon la Banque mondiale, à peine 4 % des exportations Agoa provenaient d’Afrique centrale, contre plus de 60 % pour l’Afrique australe. Un déséquilibre symptomatique d’un espace riche en matières premières, mais encore dépendant des routes et normes décidées ailleurs.

Washington temporise, le continent s’impatiente

La Maison Blanche plaide pour une prolongation d’un an, mais le Congrès reste divisé. En attendant, les conteneurs s’accumulent et les investisseurs gèlent leurs projets. Entre 2001 et 2021, les États-Unis ont importé 791 milliards de dollars de produits africains dans le cadre de l’Agoa, contre 145 milliards d’aide économique versée sur la même période. L’écart souligne une évidence : c’est le commerce, et non l’aide, qui structure désormais la relation Afrique–États-Unis. Mais cette dépendance unilatérale est risquée. « L’Agoa a contribué à l’ouverture de l’Afrique, pas à son autonomisation », résume Herman Biyogo, économiste gabonais. « La question n’est plus de négocier une faveur, mais de redéfinir les termes de l’échange ».

L’Afrique centrale : le cœur logistique du futur commerce intra-africain

Longtemps périphérique dans les grandes routes commerciales mondiales, l’Afrique centrale devient aujourd’hui un pivot stratégique. De Douala à Pointe-Noire, en passant par Kinshasa et Brazzaville, la région contrôle des corridors vitaux : pétrole, cuivre, cobalt, bois, énergie hydraulique. Elle abrite aussi des gisements essentiels pour la transition énergétique mondiale – lithium, coltan, manganèse – que les États-Unis et la Chine convoitent.

Dans un rapport de 2025, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) estime que l’intégration logistique de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) pourrait doubler le commerce intra-africain d’ici 2030, à condition d’investir massivement dans les ports, le numérique et la transformation locale. La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pourrait transformer cette région enclavée en plateforme d’exportation intégrée. Déjà, la RDC, le Congo et le Cameroun étudient la création d’un corridor industriel transfrontalier axé sur la transformation du cuivre, de l’aluminium et du cacao. « L’Afrique centrale doit cesser d’être une route de transit et devenir un centre de décision économique », plaide Patricia Mumbere, consultante congolaise en intelligence économique.

L’intelligence économique au service de la souveraineté

Dans un contexte mondial de recomposition des chaînes d’approvisionnement, la capacité de l’Afrique centrale à maîtriser l’information devient stratégique. L’intelligence économique - collecte, analyse et anticipation des données commerciales - s’impose comme un levier de souveraineté. Elle permet d’identifier les dépendances, de négocier d’égal à égal et de protéger les filières locales. Le Gabon, par exemple, a amorcé en 2024 une politique de transformation locale du bois avant exportation, réduisant de moitié sa dépendance aux marchés asiatiques. La RDC, avec le soutien de la BAD et du Qatar, explore la création d’un Observatoire du marché minier africain, destiné à suivre les flux stratégiques de cobalt et de lithium. Ces initiatives illustrent la montée en puissance d’une approche africaine du renseignement économique, tournée vers la compétitivité et la transparence.

Vers un nouvel équilibre du pouvoir économique africain

La crise de l’Agoa agit comme un révélateur. Elle montre les limites d’une dépendance aux régimes préférentiels extérieurs, mais aussi le potentiel d’un continent capable de s’organiser. L’Afrique centrale, longtemps considérée comme un ventre mou géoéconomique, devient un espace de projection stratégique entre la Méditerranée, le golfe de Guinée et les Grands Lacs. Pour Alassane Ndong, analyste au Centre africain d’intelligence stratégique,  « l’Agoa était un symbole de dépendance douce. Sa fin doit être celle d’une économie sous tutelle. L’Afrique centrale peut être le moteur d’un nouvel âge économique panafricain ».

Tandis que Washington hésite, Pékin investit, Moscou s’implante et Bruxelles négocie, l’Afrique centrale réapprend à penser en puissance. Le temps des préférences s’achève. Celui de la stratégie commence.

Noël Ndong

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