Grazina, un récit du train (13)

Samedi 23 Août 2025 - 17:17

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Ballades d’Adam Mickiewicz

Grazina esquissa une réponse au sujet des Russes :

  • A l’époque, du 12e, jusqu’au début du 14e siècle, au moment de notre présence aux confins de la mer Noire, les Russes étaient aux prises avec les Mongols-Tartares. Vous avez certainement entendu parler de la Horde d’or et de son joug sur les Russes ?
  • Oui ! Une épouvantable calamité qui s’était abattue sur la Russie
  • Voilà ! Plus tard les princes russes prirent le dessus et se frayèrent une voie au sortir du Moyen-âge. Pendant ce temps, nos princes refluaient de la mer Noire vers leur berceau initial. Les générations qui suivirent celles de nos glorieux conquérants se vautrèrent dans l’immobilisme, se contentant de gérer les abords immédiats des murs de leurs palais
  • Si je vous comprends bien, les Polonais et vous, les Lituaniens c’est une vieille histoire d’où découlent parmi, entre autres patrimoine immatériel, le prénom Grazina dont vous ne savez pas exactement si à l’origine, il était lituanien ou polonais.
  • Peut-être lituanien, je ne sais pas trop. Je ne voudrai pas paraître chauvine sur cette question. Oui, c’est une   formidable histoire de fraternité entre nos deux peuples avec des personnalités publiques de grande envergure que nous revendiquons, de part et d’autre, comme patrimoine commun. N’avez-vous jamais entendu parler du poète Adam Mickiewicz ? C’est le porte étendard de la littérature polonaise, tout comme Alexandre Pouchkine l’est pour la littérature russe. Il était né dans les environs de Vilnius. Nous le vénérons et le revendiquons comme l’un des nôtres.

Avant que Nijole ne m’en parle au cours de l’un de ses séjours chez moi, à Leningrad, j’associais le nom d’Adam Mickiewicz à un vieux livre français du 19e siècle fort bien illustré que j’avais acheté chez les bouquinistes de Liteïni prospekt de Leningrad. Des personnalités de la scène littéraire et artistique françaises rendaient un vibrant hommage à la mémoire du poète polonais. Dithyrambique, Victor Hugo, en particulier, terminait son éloge par une vision prophétique qui proclamait « … Mickiewicz est l’un des clairons de l’avenir ».  C’est dans ce même livre que j’ai lu pour la première fois la ballade ‘’ Les trois fils de Boudrys’’ et l’excellent ‘’La steppe d’Ackerman’’.

Prudemment, je mentionnai ce livre et le peu de choses que je savais de l’auteur polonais. La mention de ces deux titres plongea la Lituanienne dans une sorte de vénération extatique que j’avais déjà constatée chez les Russes à propos de la poésie d’Alexandre Pouchkine. Une baboulia, concierge de notre campus, m’avait fait la démonstration de cet état émotionnel. Un jour que je déclamais en passant devant elle, un passage d’Evgueni Onéguine, je l’entendis s’exclamer :

  • Oh ! oh ! mon fils… si vous saviez… c’est l’âme… c’est notre âme !

Grazina n’était pas loin de me refiler le même refrain. Lorsqu’elle émergea de sa piété, elle posa une nouvelle fois un regard admiratif sur moi en me questionnant :

  • Rex, j’imagine que tu les as croqués !
  • En effet. J’ai lu les deux poèmes avec beaucoup de plaisir et d’excitation. « La steppe d’Ackerman » est une excitante ode à la nature. Quant au vieux Boudrys et ses trois lurons de fils qu’il envoie à la guerre aux quatre coins du monde, là où abondent des richesses inestimables mais qui, à leur retour, lui ramènent trois brus…

Je fus interrompu par une observation de la Balte sur la perception émotionnelle des poèmes de Mickiewicz en français :

  • Je ne sais pas ce que cela donne en français. Cette langue a-t-elle le même impact poétique auprès des populations que l’est allemand, l’anglais ou le russe ? Vous ne pouvez pas imaginer le bonheur qu’éprouve un Polonais ou un Lituanien à l’écoute de ces deux chefs-d’œuvre.

Elle était polyglotte et taquinait aisément, selon ses dires, aussi bien la langue de Goethe et Schiller que celle de Shakespeare. Son interrogation évoquait incidemment une question centrale de la littérature comme vecteur de la communication ayant pour enjeu, le lien entre la langue et le public. Sur l’instant, je refusai de m’aventurer sur un terrain aussi glissant. Sa préoccupation, suivant le feu de sa narration était innocente, et paraissait être sans arrière-pensée provocatrice pour les admirateurs de la poésie française et pour le francophone que j’étais. Je ne répondis pas à cette préoccupation. Je fis comme si je ne l’avais pas entendu. Pour dissiper rapidement tout malentendu sur ce sujet, je convoquai le très populaire Paul Verlaine à mon secours. J’expliquai à la Balte, qu’à ma connaissance, en France, la plume vénérée de Paul Verlaine avait signé des œuvres poétiques pleines de grâce, dépouillées de l’hermétisme académique qui colle souvent aux poètes français et francophones. L’impact populaire de sa poésie était indiscutable au sein du public français et francophone plus d’un siècle après sa disparition. Prudemment, je recommandai à Grazina de se procurer, entre autres, les traductions des œuvres, de l’auteur des Romances sans paroles. (à suivre).

 

 

François-Ikkiya Ondaï Akiera

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