Michel Innocent Peya : « La démocratie à l’africaine doit être à l’image de ses propres modes d’existence »

Vendredi 18 Juillet 2014 - 9:06

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De passage à Paris, l’auteur de l’essai Entre le bon sens et l’alternance absolue, l’Afrique à la croisée des chemins, est venu dans les locaux de la Librairie-Galerie Congo pour défendre son concept de démocratie à l’africaine. Extraits de l’entretien

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Votre analyse conduit à constater l’inadaptation de la démocratie calquée sur un modèle occidental. Vous citez les exemples de la Lybie, la RDC ou de la Côte d’Ivoire. Qu’en est-il ?

Michel Innocent Peya (MIP) : Mon constat est celui d’un Africain qui, au fil de l’actualité socio-économique et politique du continent, a à sa disposition des références en sciences humaines, des applications issues du mimétisme et de la transposition de textes constitutionnels venus d’ailleurs. Je le dénonce à travers mon ouvrage et propose de revenir aux fondamentaux de nos peuples respectifs. L’observation de la nature nous fournit l’exemple de la termitière où toute une vie s’organise autour d’une reine mère entourée de ses bataillons. Nous pouvons comparer l’organisation de la vie de la reine mère à celle d’un chef d’État au sein d’une Nation. Que survienne une déstabilisation du mythe de la termitière et l’édifice naturel s’écroule. Brutalement délogée, la reine mère quitte les lieux et la termitière devient une coquille vide. Les convoitises deviennent alors légion. Les nouveaux arrivants ignorent la façon dont a été conçue cette cellule de vie qui se détériore. Ils se préoccupent juste de l’opportunité d’un habitat disponible où ils vont avoir plaisir à se fixer. Ainsi vont s’installer le désordre, le chaos, leurs effets nocifs engendrant un retour en arrière sur le plan humain. Être chef ne s’improvise pas.

LDB : Partant de ce constat, vous avez réfléchi à une voie politique appropriée pour l’Afrique…

MIP : Le processus de démocratisation est universel. Ce que je prône, c’est une démocratie à l’africaine à l’image de nos propres modes d’existence. Elle se présente comme une voie de recours, fondée sur des bases réelles d’humanisme à travers nos cultures et nos traditions, à la recherche permanente d’un consensus. Nous avons, au Congo, des pratiques comme « Osambe » en langue mbosi ou « Mbongui » en langue kongo que nous devons réhabiliter. Il n’est pas question de persister avec une foultitude de partis au nom de la démocratie, de gérer les bourrages des urnes, autant de faiblesses d’un système qui nous conduit aux discordes et aux guerres. Non à cette démocratie livrée dans un kit conditionné par le discours, un leurre qui, jusqu’à ce jour, nous maintient dans le sous-développement.

LDB : Une fois sortis de ce joug, comment les Africains devraient-ils procéder ?

MIP : Nous n’avons rien à inventer. Il s’agit d’une procédure similaire fondée sur le respect du bon sens des principes africains à appliquer par et autour des sages. Dans nos villages est choisi un chef traditionnel. Au niveau de la Nation, le peuple se prononce pour élire son leader charismatique, rassembleur, épris de paix. Un leader en lequel tout un peuple se retrouve et qui est reconduit. La Nation a besoin de lui. Il a démontré ses compétences pour sa nation. Le peuple lui accorde sa confiance et la lui renouvelle à travers les modifications, les ajustements constitutionnels. Car, suivant la prophétie de Mgr Ernest Kombo, « réclamer l’alternance est une chose, mais il faut éviter qu’un jour le Congo vote pour un démon au sommet de l’État ».

LDB : Qu’en est-il du Congo ?

MIP : C’est un ouvrage destiné aux Africains, à toute l’Afrique. Les incitations aux applications de l’alternance absolue sont fatales. En s’inspirant des exemples de plusieurs nations aujourd’hui en difficulté, le Congo doit prendre conscience de l’appel pathétique que je lance aux Congolais : ils doivent opérer, à l’étape où nous sommes, un choix rationnel et responsable. Notre rôle, c’est de rappeler aux Africains l’Histoire de leurs nations pour que, de manière responsable, ils s’en imprègnent de l’intérieur comme de l’extérieur avant de porter tout éventuel jugement. Car ceux qui ne vivent pas dans la sécheresse du désert ne connaîtront pas la valeur de l’eau. Nous élaborons les lois, nous sommes aussi capables de les défaire afin de parvenir au bonheur auquel, légitimement, chacun a le droit d’aspirer.

LDB : Dans votre ouvrage, vous citez plusieurs fois des personnalités, comme Martin Luther King, qui ont suggéré en leur temps des voies à exploiter pour l’humanité. N’abordez-vous pas dans cet essai des modèles venus d’ailleurs avec une grande part de rêve ?

MIP : Oui, j’aspire à un rêve. Je m’avance dans une prophétie. Celui de Martin Luther King s’est réalisé dans une société où Blancs et Noirs vivent ensemble. L’histoire est un éternel recommencement. J’élabore une théorie de l’unité de sens qui consiste à aller vers le renforcement de l’unité de commandement traditionnel. Cela fait l’objet de mon livre déjà paru en mai dernier. Mon rêve est de la voir s’appliquer à notre Constitution.

Entre le bon sens et l'alternance absolue, 340 pages, Éditions La nouvelle pensée, 30 €, en vente à la Librairie-Galerie Congo - 23, rue Vaneau - 75007 Paris.

Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Michel Innocent Peya, auteur de l’essai « Entre le bon sens et l’alternance absolue, l’Afrique à la croisée des chemins » (© Adiac). Photo 2 : Michel Innocent Peya, à la Librairie-Galerie Congo à Paris (© Adiac).