Africajarc 2014 : les langues africaines au cœur du grand débat du festival

Samedi 2 Août 2014 - 0:15

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Comme chaque année, les conférences avaient lieu au Grin littéraire, à l’ombre du grand arbre de Cajarc. De nombreuses tables rondes étaient au programme : des récits de voyageurs swahilis à Albert Camus en passant par l’œuvre du cinéaste Abderrahmane Sissako, les thématiques abordées étaient très diverses. La grande palabre annuelle portait sur les langues africaines au cœur de la culture et du développement, avec la participation de Boubacar-Boris Diop, Musanji Ngalasso-Mwatha, Roland Colin, Érik Orsenna, Christian Valantin et Bernard Dumont

Grin littéraireLe modérateur de la rencontre, Roland Colin, ancien élève de Léopold Sédar Senghor, a rappelé via son introduction historique les idées reçues issues de la période coloniale concernant les langues africaines, et notamment la question de la qualité de ces langues. Le doute sur l’existence, la qualité et l’écriture des langues africaines a insidieusement été amené par le mépris du colon. Pourtant, comme l’a démontré le professeur Musanji Ngalasso-Mwatha, toutes les populations ont un moyen de communication, et les mots utilisés sont adaptés à leur réalité. Les préjugés évoquant une langue non écrite, sans grammaire propre et pauvre en vocabulaire sont donc évidemment faux. Érik Orsenna, écrivain et académicien français, a dressé un parallèle entre le pulaar et le breton : ces langues sont adaptées à leur milieu, ainsi le breton est plus à même de décrire une réalité tout à fait bretonne comme la montée de l’eau par exemple, et le pulaar est le mieux adapté à la description des vaches. Chaque langue s’adapte à son milieu et développe un vocabulaire propre à ce milieu. Bernard Dumont, qui a longtemps travaillé au Mali, a démontré l’écriture des langues sur le continent en prenant l’exemple des manuscrits de Tombouctou, dont certains sont écrits en ajami, une langue africaine transcrite à l’aide de l’alphabet arabe.

Musanji Ngalasso-Mwatha, qui est professeur de sociolinguistique à l’université de Bordeaux-III et directeur du Centre d’études linguistiques et littéraires francophones et africaines, a rappelé le nombre très élevé de langues existant sur le continent : 2 011 sur les 7 000 parlées dans le monde, ce qui est très important même si beaucoup sont en danger d’extinction. À partir de ces considérations théoriques, il est maintenant temps, selon lui, de mener des actions concrètes pour montrer que ces langues sont bien une réalité, il faut mener des travaux à l’image du dictionnaire trilingue français-lingala-sango qu’il a conçu cette année en partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie. Dans le champ de l’action, Bernard Dumont a pu témoigner de son expérience au Mali où il a été responsable dans le cadre de l’Unesco d’un grand projet d’alphabétisation en langues nationales de 1965 à 1972. Le Mali avait alors choisi de retenir quatre langues pour ce programme. Bernard Dumont a expliqué les étapes essentielles de la transcription d’une langue orale en une langue écrite : le choix des caractères pour chaque son, la conception d’une grammaire, l’officialisation de la langue et le plus important, la formation des formateurs. Tout cela a abouti au lancement d’un journal destiné aux paysans entièrement en bambara, qui existe encore aujourd’hui, le journal Kibaru.

En effet, l’acceptation d’une langue se fait véritablement par la création scientifique et littéraire, ce dont l’écrivain et intellectuel sénégalais Boubacar-Boris Diop a pu témoigner puisqu’il est un pionnier en la matière : il a déjà écrit plusieurs romans en wolof, qu’il traduit ensuite en français. La culture et la littérature témoignent de la vivacité d’une langue, selon lui la traduction d’œuvres africaines majeures en langues vernaculaires est également fondamentale, il s’y attelle actuellement. Dans la chanson, les langues africaines sont parvenues à s’imposer, il pourrait donc en être de même pour la littérature romanesque.

Boubacar-Boris Diop a ensuite évoqué son expérience d’enseignant au département des langues et cultures africaines de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, il y enseigne la littérature de langue wolof, ce qui est nouveau au Sénégal. Il a commencé son enseignement par le roman, car il voulait sortir de la tête des étudiants que le wolof est associé à l’oralité. Les étudiants, bien que réfractaires au début, vouent maintenant une passion à cette littérature, il est lui-même surpris du résultat. Les cours se passent dans les deux langues, ce n’est pas un combat contre le français, comme l’a également dit le professeur Ngalasso-Mwatha qui a développé l’idée de compétitivité des langues, plus intéressante selon lui que l’exclusion (in Le français et les langues partenaires : convivialité et compétitivité, Presses universitaires de Bordeaux).

Pourtant, beaucoup d’Africains sont incrédules face à cette démarche, selon Boubacar Boris Diop : cela fonctionne bien au Sénégal et au Mali, il y a un grand dynamisme des langues wolof et pulaar, mais il y a des pays et des contextes plus complexes. Pour que les langues africaines soient acceptées par les Africains eux-mêmes, il faut qu’elles soient valorisées, qu’elles soient un vecteur de promotion et d’avenir. Tous étaient d’accord pour dire que le français n’a pas d’avenir sans l’Afrique et que les langues africaines n’ont pas d’avenir si elles ne sont pas associées à l’école et au développement des pays africains.

Pauline Pétesch

Légendes et crédits photo : 

Photo : Conférence au Grin littéraire. (© Adiac)