Aide au développement : la fracture nordique qui rebat les cartes en Afrique

Vendredi 19 Décembre 2025 - 17:17

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Entre désengagement stratégique de la Suède et montée en puissance humanitaire de la Norvège, les pays africains subissent de plein fouet la recomposition géopolitique de l’aide internationale.

Les décisions récentes de la Suède et de la Norvège, prises à quelques jours d’intervalle, illustrent un tournant majeur dans la géopolitique de l’aide au développement. Deux pays scandinaves, longtemps perçus comme des piliers de la solidarité internationale, empruntent désormais des trajectoires divergentes, avec des conséquences directes pour plusieurs États africains. Stockholm a annoncé la fin progressive de son aide bilatérale au développement envers cinq pays, dont quatre en Afrique : le Zimbabwe, la Tanzanie, le Mozambique et le Liberia. Objectif affiché : dégager 10 milliards de couronnes suédoises (1,1 milliard de dollars) dès 2026 pour renforcer le soutien à l’Ukraine. « Nous sommes à un point crucial de l’histoire de l’Europe », a justifié le ministre suédois de la Coopération internationale, Benjamin Dousa, assumant des « choix de priorités difficiles ».

Un retrait aux effets politiques et opérationnels lourds

Au-delà des montants, la portée est symbolique et stratégique. La fermeture des ambassades suédoises au Liberia et au Zimbabwe marque un recul diplomatique tangible, réduisant la capacité d’influence directe de Stockholm dans ces pays. Même si la Suède maintient son aide humanitaire et promet une relation recentrée sur le commerce et la politique étrangère, le signal envoyé est clair : l’aide au développement de long terme devient une variable d’ajustement face aux urgences géopolitiques européennes. Pour les pays concernés, cette décision risque d’entraîner un effet domino, en pesant sur la confiance d’autres bailleurs et en fragilisant des programmes structurants dans l’éducation, la santé ou la gouvernance. Dans des économies déjà vulnérables, la perte d’un partenaire historique peut accentuer la dépendance à d’autres acteurs, publics ou privés, parfois moins exigeants en matière de normes sociales ou démocratiques.

La Norvège, pari inverse sur l’humanitaire multilatéral

À l’inverse, Oslo a annoncé le 2 décembre 2025 une augmentation substantielle de son soutien au Fonds central d’intervention d’urgence de l’ONU (CERF) : 470 millions de couronnes norvégiennes (47 millions de dollars) sur 2025-2026. Ce choix renforce un mécanisme clé pour répondre rapidement aux crises humanitaires, notamment dans les « crises oubliées ». « Le CERF est l’un des outils les plus efficaces pour fournir une aide vitale là où les besoins sont les plus urgents », a souligné le ministre norvégien Åsmund Aukrust. En 2025, les principaux bénéficiaires du fonds – Soudan, RDC et Tchad – sont majoritairement africains, confirmant l’ancrage continental de cette stratégie.

Deux visions, un même dilemme pour l’Afrique

Ces choix opposés révèlent une tension croissante entre aide humanitaire d’urgence et développement structurel. Là où la Norvège renforce une approche multilatérale axée sur la protection des civils, la Suède privilégie une réallocation géopolitique de ses ressources. Pour l’Afrique, le risque est double : voir certains pays basculer dans l’angle mort du développement, tandis que d’autres survivent sous perfusion humanitaire sans perspective de transformation économique durable. Dans un monde de ressources rares et de crises multiples, ces arbitrages nordiques rappellent une réalité brutale : l’aide n’est jamais neutre. Elle est désormais un instrument stratégique, et pour les pays africains, la capacité à diversifier leurs partenariats et à renforcer leur autonomie économique devient plus cruciale que jamais.

Noël Ndong

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