Danse : « Je ne me fixe aucune limite dans mes chorégraphies », déclare Farah Saleh

Lundi 6 Juillet 2015 - 19:00

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La danseuse fait partie des trois chorégraphes de la pièce de danse Badke qui met en scène dix danseurs palestiniens. En août 2013, la Suisse a accueilli la première de cette pièce de danse qui avait connu un début de création en 2012 en Palestine et s’est poursuivi deux mois à Bruxelles. Soixante représentations ont été faites jusqu’ici et les premières africaines sont les deux que Kinshasa a abritées, les 3 et le 4 juillet, dans le cadre du festival Connexion Kin. Le lendemain, elle a accordé un entretien exclusif aux Dépêches de Brazzaville.

Badke sur la scène de Connexion Kin dans la cour du Lycée Mama Diankeba à le 13e rue, Limete quartier résidentielLes Dépêches de Brazzaville : Comment pourrait-on vous présenter aux Congolais ?

Farah Saleh : Je suis Farah Saleh, danseuse et chorégraphe palestinienne. Je pratique la danse depuis mes six ans et j’en ai trente aujourd'hui.

LDB : Combien de représentations a, à son actif, la pièce Badke depuis qu’elle est en tournée  ?

FS : Cela fait deux ans que nous tournons avec cette pièce. Nous avons offert soixante spectacles beaucoup plus en Europe et en Palestine. En 2016, il est prévu trente dates dont certaines aux États-Unis et dans d’autres pays du monde arabe. Un nombre de danseurs actuels vont arrêter et seront remplacés parce que c’est difficile de travailler sur nos projets personnels tant que nous sommes dans Badke car nous voyageons beaucoup. Moi, je ne serai pas de la partie ainsi que certains autres, nous serons remplacés.

LDB : Badke est une pièce de danse très mouvementée d’où il se dégage une grande énergie. Que voulez-vous au juste exprimer ?

FS : Dans Badke, on parle de ce que représente pour les danseurs contemporains, nous, aujourd’hui, la dabke, la danse traditionnelle palestinienne. C’est la transformation du langage de la dabke dans un contexte moderne qui s’articule autour de l’histoire de la Palestine en général et de nos histoires personnelles en tant qu’individus. Il est à la fois question d’une expression collective et individuelle, les deux choses sont mises ensemble. Mais en plus, nous évoquons aussi la tension qui existe entre les deux. Est-ce que l’on peut vraiment vivre comme un individu en Palestine ou pas ? Doit-on toujours tous parler de politique ? Est-ce possible d’avoir une vie privée et s’arrêter sur des questions sociales ?

LDB : Quelle est l’histoire personnelle que raconte Farh Saleh dans Badke ?

FS : Je raconte deux choses. Notre vie en tant que Palestiniens, combien nous aimons la vie et continuons à vivre malgré tout ce que nous endurons et l’occupation israélienne. Et aussi, la tension vécue parce qu’il faut se trouver un espace dans ce contexte pour vivre son individualité en tant que danseur-danseuse, femme-homme. Comment nous vivons nous-mêmes notre rapport avec le corps. 

LDB : Est-ce facile dans ce contexte, pour un jeune palestinien, de faire de la danse comme vous le faites ? Quel regard portez-vous sur votre société ?

FS : Le regard commence à changer un peu depuis dix ans. En Palestine, tout le monde danse au son de la danse traditionnelle comme les Congolais le font aussi avec la leur, je crois. C’est pareil pour plusieurs à voir la danse contemporaine, c’est comme transformer la danse traditionnelle, imiter l’Occident mais petit à petit les gens comprennent qu’il s’agit là de la danse contemporaine palestinienne. Nous exprimons nos histoires avec les mêmes gestes, ce n’est pas vraiment une importation de l’Occident et donc la considération commence à changer.

LDB : Est-ce perçu ainsi pour la plupart des gens ? 

FS : Oui. Cela ne constitue pas un problème quoiqu’il y ait des familles plus conservatrices mais la mienne est assez ouverte et je connais plein de monde qui fait de la danse. Oui, le regard est en train de changer, il y a une ouverture d’esprit malgré que l’on tient à conserver la tradition. En plus, le festival de danse contemporaine de Ramallah, depuis dix ans, permet à des compagnies de danse de jouer et de tourner, de présenter leurs spectacles jusqu’à Jérusalem parfois. Ce festival international accueille aussi des compagnies palestiniennes arabes et, donc, il y a aussi un public pour cette danse. Ça bouge, le secteur culturel en général est en train de bouger et de grandir en Palestine.

LDB : À partir de quel moment de votre parcours vous êtes-vous sentie libre d’exprimer votre art dans la société palestinienne ?

FS : J’ai toujours fourni l’effort d’étendre les frontières, de ne pas me limiter et de faire ce qui est le mieux pour mon art. Je crée aussi vu que je suis chorégraphe. Et dans mes chorégraphies, je ne me fixe aucune limite. Je m’exprime avec le corps et aborde divers sujets. Parfois, c’était difficile d’aller jouer dans des villes un peu plus conservatrices comme Jenin, par exemple. Il y a eu alors des réaménagements question d’adapter un petit peu le spectacle au milieu. Cela n’a pas vraiment changé le sens ou la vision artistique du spectacle. C’était juste pour ne pas choquer.

LDB : En quoi consistent les adaptations ?

FS : Il n’y a pas eu de grands changements, juste des petits détails. Salma qui est également dans Badke dansait avec moi et elle a dû porter un T-shirt en dessous de son haut parce qu’il était trop décolleté, par exemple. Nous avons raccourci la durée d’un mouvement où nous tournons le dos au public et bougeons le postérieur. Deux ou trois choses de ce genre juste parce que c’est une ville assez tendue aussi à cause de l’occupation militaire israélienne. Israël y entre tous les jours et procède à des arrestations, détruit des maisons et, donc, les personnes sont tendues tout le temps. Elles n’ont pas un moment pour se relâcher et réfléchir à autre chose

LDB : Combien de créations avez-vous à votre actif en tant que chorégraphe ?

FS : Je crée depuis 2015 et j’ai déjà fait cinq ou six pièces. Des créations personnelles et d’autres avec certaines gens en tant que « co-corégraphe ».

LDB : Comment avez-vous vécu cette première scène en RDC, en terre africaine  ?

FS : J’avais rencontré des artistes congolais à Bruxelles où j’avais vu Coup Fatal que j’avais beaucoup aimé. J’ai fait la connaissance d’Alain Platel et des danseurs ainsi que des chanteurs congolais. J’étais depuis très excitée à l’idée de venir ici et danser avec des danseurs congolais. Voir les artistes dans leur milieu et rencontrer du monde. J’avais hâte personnellement et même le reste de l’équipe d’arriver ici. 

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo : Badke sur la scène de Connexion Kin dans la cour du Lycée Mama Diankeba à le 13e rue, Limete quartier résidentiel

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